Un jugement universitaire maladroit de la Justice : Quand des professeurs de droit font un procès d’intention aux procureurs et aux juges !

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Dans  une  tribune  récente  (parue  le  28  février  2023),  trois  professeurs  de  droit évoquent  la  « politisation  de  l’appareil  judiciaire  »  en  qualifiant  la  magistrature,  de « bananière ». En critiquant la justice, ils réduisent la justice au pénal. Or, le baromètre d’un jugement  du  fonctionnement  de  la  justice  n’est  pas  réductible  à  la  répression  des  faits délictuels et criminels. Juger tout un système judiciaire et ses acteurs sur la base des affaires pénales médiatisées révèle une posture imprudente et narcissiste. La matière brute de nos juridictions reste le nombre d’affaires traitées au quotidien par les professionnels de la justice. La  fréquence  des  affaires  pénales  (vol,  association  de  malfaiteurs,  homicide  ou  blessures involontaires,  abus  de  confiance,  faux  et  usage  de  faux,  escroquerie,  coups  et  blessures volontaires, outrage et rébellion, voies de fait, etc.) montre que les juges et les procureurs sont  sous  extrême  tension  et  sont  préoccupés  par  rendre  la  justice  au  nom  du  peuple. Malheureusement, ceux qui rendent la justice sont souvent oubliés. Nulle ignore que critiquer la  justice,  sa  méthode  de  travail,  ses  moyens  et  décisions,  peut  se  concevoir,  dans  une perspective de critique féconde dans un Etat de droit. Mais, cela devient de la délation si la critique emprunte la voie d’attaques ciblées et personnalisées. Jeter l’anathème ou le discrédit sur la justice est en soi facile. Critiquer  la  justice  et  insulter  les  procureurs  et  juges  sont  devenus  un  fonds  de commerce  et  un  instrument  de  populisme  universitaire.  La  dame  justice  est  violemment attaquée sans fondement. La justice ne se vit pas sous forme de spectacle ou de vacarme. Elle est  le  lieu  où  bat  le  cœur  des  sénégalais.  Réduire  la  justice  à  des  cas  d’arrestation  ou  de jugement  de  diffamation  relève  d’une  méconnaissance  totale  des  linéaments  du  monde judiciaire. La défense de la Justice est le propre de tout citoyen soucieux de la préservation des  équilibres  de  la  République.  L’entreprise  de  certains  professeurs  de  droit,  visant  à décrédibiliser  l’institution  judiciaire,  en  parlant  de  « magistrature,  institution  au  service  de l’exécutif » manifeste une absence de rigueur scientifique et méthodologique. Un professeur de droit n’a pas à livrer ses opinions politiques sur la justice dans l’espace public en usant son titre académique. Le public naturel de l’universitaire reste l’espace académique comme disait l’autre  « mes  étudiants  ne  connaissaient  pas  mes  opinions  politiques ».  Cette  tentation  à vouloir juger la justice avec les qualificatifs « juges du gouvernement », est prétentieuse, car la manifestation  de  l’Etat  de  droit se  symbolise,  à bien  des  égards, par  l’intervention  juge, indicateur, d’un besoin croissant de justice. Pour rappel sur la question de l’indépendance du juge, il n’y a pas d’opinion tranchée. L’indépendance personnelle du juge  puisqu’il  s’agit  de  cela, est une  culture  et  un  état d’esprit conditionnant sa légitimité dans un régime démocratique. La justice elle-même n’est « ni un état de la société, ni une propriété des lois, mais une vertu, une attitude de l’homme dans les relations sociales ». Pour éviter de déclarer la « guerre entre les juges et la société lorsque les hommes politiques ont maille à partir avec la justice, il faut faire confiance au système judiciaire et exiger une redevabilité judiciaire.  Par  ailleurs,  les  réactions  violentes  et  excessives  à  l’égard  de  la  justice  témoignent  la dimension ingrate du spectre de « la société contentieuse ». Les qualificatifs sont nombreux et sévères  :  «  justice  instrumentalisée  »,  «  justice  non  indépendante  »,  «  justice  inexistante  »,  « justice téléguidée », « justice à géométrie variable ». Partant de là, aucune sympathie exprimée à l’endroit de la justice judiciaire comme à l’égard de la justice constitutionnelle considérée souvent avec virulence de simple « commis de l’exécutif » ou de « bras armé de l’exécutif ». Le discrédit proféré à l’endroit des magistrats n’honore pas l’héritage de notre système judiciaire qui a connu d’éminents juges de renommée internationale (Kéba Mbaye, Ousmane Camara, Leyti Kama…). Les opinions  politiques  sur  la  justice  ne  doivent  pas  conditionner  le  regard  citoyen  sur  le  système judiciaire. La ligne de démarcation est à tracer pour préserver la justice.   Les affaires impliquant des hommes politiques ne peuvent pas servir de base de réaction doctrinale pour les universitaires avec tout le respect dû à leurs rangs. La dimension politique de la  justice  existe  dans  tous  les  pays  du  monde,  même  dans  les  plus  grandes  démocraties.  Par exemple,  aux  USA,  «  rares  sont  les  questions  politiques  qui  ne  deviennent  pas  juridiques  et inversement » (Tocqueville). La condamnation d’hommes politiques ne signifie pas « politisation de la justice ». Le juge dit le droit en se basant sur les faits, même s’il est soumis à une contrainte textuelle et systémique. Il applique la loi, au besoin, pratique le « law in context ». L’autre disait « même nos erreurs s’imposent à vous ».  Faire le procès de la justice sur la base d’enquêtes et poursuites conformément au Code pénal et au Code de procédure pénale, montre une absence de culture de la critique judiciaire. Ce qui  confirme  le  savoir  juridique  en  danger  dans  nos  universités.  Le  propre  de  l’enseignant chercheur  est  de  produire  le  savoir  et  développer  la  recherche  en  dehors  des  contingences politiques. D’où l’urgence de tenir des « états généraux sur l’enseignement du droit au Sénégal » pour éviter une faculté de droit bananière. L’approche militantiste du droit dans nos facultés est un mal qu’il faut combattre. Si les professeurs de droit prennent la place des juges, des législateurs ou des décideurs, la crédibilité du droit sera compromise. Pour faire avancer les  choses, Il faut avoir  une  « éthique  commune  de  la  discussion  sur  la  justice  et  une  politique  de  la  critique judiciaire » et non des jugements de valeur.

Par  Moustapha FALL Docteur en Droit public

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