FINANCEMENT DE L’ECONOMIE
Pour plus de dynamisme de l’économie sénégalaise nationale, tirer la croissance et créer plus d’emplois décents, il faut trouver des mécanismes souples et adaptés pour financer le secteur informel où évoluent la majorité des acteurs économiques. Jusqu’ici, les politiques et stratégies développées tardent à donner les résultats escomptés.
« Nos banques sont surtout étrangères (…). Elles appliquent des taux d’intérêt très élevés et des garanties lourdes qui plombent l’essor des activités économiques. Et elles ne prêtent pas à beaucoup d’hommes d’affaires nationaux et son peu impliquées dans l’économie nationale. »
Le constat est implacable, le réquisitoire sévère. Mais c’est un sentiment largement partagé. En effet, la problématique du financement des acteurs économiques particulièrement ceux évoluant dans le secteur informel est au cœur des stratégies de l’Etat, et des partenaires. A l’initiative de l’Etat, des acteurs économiques ou même des banques, le sujet réunit souvent des responsables des établissements financiers, des structures d’encadrement et d’accompagnement, des opérateurs économiques, des représentants des sociétés d’intermédiation et de conseils, etc.
L’objectif est de trouver la bonne formule pour financer les acteurs économiques qui évoluent dans l’informel et qui constituent le gros du lot. D’après le recensement général des entreprises, 97 pour cent des entreprises (hors agriculture) sont dans le secteur informel. Les enjeux sont énormes. Si la bonne formule tarde à voir le jour, tous les acteurs de l’écosystème s’accordent au moins sur une chose : les financements et les structures d’encadrement ne manquent pas. Ils sont également d’accord qu’il faut davantage financer les Pme et Pmi pour doper l’économie nationale et aller à la conquête d’autres marchés.
Qu’est-ce qui explique ce paradoxe ? Les financements sont disponibles mais l’accès est problématique. Sur les unités économiques au Sénégal identifiées lors du dernier recensement général des entreprises en 2016, 3 % voire moins bénéficient de financement. Très peu pour une économie qui se veut dynamique. L’argument souvent avancé est la frilosité des banques et des autres établissements financiers qui pratiquent des taux élevés, des offres dominées par les crédits court terme ; donc peu adaptés aux besoins et des exigences de garanties en inadéquation avec les capacités de ces cibles.
Pourtant les banquiers réfutent cette thèse et avancent que ce sont les dispositions légales et prudentielles qui leur imposent de s’entourer de certaines garanties avant toute décision de financement. Ils rétorquent que les Pme ou Pmi ne remplissent pas certaines conditions. Parmi les freins, ils citent le manque de lisibilité de l’information financière, le caractère informel, la confusion entre le fondateur et l’entité économique, etc…
Mme Seck de Coris Bank pointe du doigt un problème d’organisation des Pme et Pmi qui selon elle ont un taux de mortalité de 65 % au terme de leur première année de création. Il s’y ajoute qu’elles sont sous capitalisées et éprouvent des difficultés à accéder au marché. M. Mbengue, expert indépendant indexe quant à lui, un problème de management et de respect des règles de gestion. Selon lui, il y a aussi un problème d’identification et d’expression des besoins qui sont à l’origine des tensions de trésorerie.
Même s’ils ne réfutent pas les faiblesses, des Pme et Pmi, des opérateurs économiques comme Moustapha Tall, Ndongo Fall de l’Aftu indexent les taux d’intérêts élevés, des exigences de garantie assez élevée, de fortes pénalités en cas de retard dans le remboursement, sans compter les frais de dossiers et d’assurance qui sont chers. Autant d’exigences qui freinent l’envie de beaucoup d’hommes d’affaires et pour la plupart de ceux qui évoluent dans le secteur informel, c’est une barrière à l’accès au crédit.
Malgré ces goulots, obstacles, il est possible de les dépasser affirment en chœur Mamour Fall de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Dakar et Marie Odile Sène Kantoussan de CGF Bourse. Parmi les principales préconisations, M. Fall appelle les banques et autres institutions de financement à adapter leurs règles aux réalités économiques du Sénégal avec des mécanismes souples de financement. Pour Mme la directrice de CGF Bourse les banques doivent recourir au marché financier pour lever des ressources de longue durée, afin de pouvoir financer plus d’entités économiques.
C’est également l’avis de M. Ahmadou Al Aminou Lô, directeur national de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest. Il appelle à une synergie pour solutionner les problèmes et financer efficacement les Pme et Pmi qui sont des leviers fondamentaux pour développer un pays.
FINANCEMENT DE L’ECONOMIE : Le secteur informel, le talon d’Achille
Et si l’Aftu servait de modèle
Le modèle économique de l’Association de financement des professionnels du transport urbain (Aftu) est inspirant. La mobilisation de fonds importants auprès des banques commerciales en est une illustration achevée.
Le 16 juillet 2022, l’Association de financement des professionnels du transport urbain (Aftu) levait 25 milliards de FCfa auprès de trois banques locales pour le renouvellement, à Dakar, du parc de minibus de transport collectif urbain. Il s’agit de FBNbank Sénégal (13 milliards de FCfa), de la Banque de Dakar (5 milliards de FCfa) et d’Orabank Sénégal (7 milliards de FCfa). Ces trois banques, dans le cadre d’une syndication, avaient même proposé 49 milliards de FCfa mais les besoins étaient estimés à 25 milliards de FCfa pour l’achat de 1000 minibus.
Comment ces acteurs sont parvenus à obtenir ce financement auprès des banques commerciales réputées frileuses quand il s’agit de financer les acteurs du secteur informel ? En effet, ils sont nombreux les entrepreneurs ou opérateurs économiques qui déplorent les conditions draconiennes des banques pour obtenir un financement. Parmi les contraintes entravant l’accès aux financements, il y a une faible bancarisation des acteurs économiques, des lourdeurs administratives et juridiques, des instruments de financement inadéquats ou inadaptés et une perception du risque de défaut surévaluée.
Pourtant, dans l’opération de levée de fonds de l’Association de financement des professionnels du transport urbain, les trois banques n’ont exigé aucune garantie assure Mbaye Amar, président de l’Aftu. Il met en avant une « bonne réputation et un bon accompagnement ». D’après le président de l’Association de financement des professionnels du transport urbain, les banques ne refusent pas de financer les acteurs évoluant dans le secteur informel mais elles s’entourent de garanties pour s’assurer du remboursement du crédit. Mbaye Amar précise que tous les transporteurs regroupés au sein de GIE qui forment l’Aftu, se font un point d’honneur de rembourser les prêts contractés. « Nous faisons tout pour rembourser l’argent emprunté. Il y va de notre réputation et nous y tenons », insiste-t-il. Une bonne réputation. Voilà le secret puisque l’Association de financement des professionnels du transport urbain a obtenu plusieurs financements depuis sa création.
En 2004, elle avait bénéficié d’un financement de 14 milliards de FCfa de la Banque mondiale dans le cadre de la première opération de renouvellement du parc automobile de transport collectif urbain. Cet argent a été entièrement remboursé. Puis, entre 2010 et 2015, elle a bénéficié, à nouveau, d’un prêt de 17 milliards de FCfa suivi d’un autre de 8 milliards de FCfa pour l’élargissement du renouvellement du parc de transport en commun dans les 13 régions de l’intérieur du pays. Entre 2018 et 2020, Coris Bank octroyait 10 milliards de FCfa à l’association. Se fondant sur ces différents prêts obtenus auprès des banques, le président de l’Aftu réfute la thèse de la frilosité des banques à financer les opérateurs économiques évoluant dans le secteur informel. « Au regard des montants que nous réussissons à obtenir des banques, nous ne pouvons pas dire qu’elles ne financent pas les opérateurs économiques », confie Mbaye Amar qui s’enorgueillit du statut de son association auprès des banques. « Nous sommes un gros client qui honore ses engagements et qui est très couru par les banques. ».
Mais il faut souligner que l’Aftu n’est pas un client comme les autres. Elle réalise un chiffre d’affaires annuel moyen de 72 milliards de FCfa, emploie 7 000 personnes. Toutefois, des acteurs qui évoluent dans le secteur bancaire et de la finance relativisent la facilité d’accès au crédit de l’Aftu. Ils indiquent que l’association bénéficie d’un double parapluie : celui de l’association et de l’Etat à travers le Cetud. De plus, l’un d’eux précise qu’il y a une hypothèque sur l’objet du financement, c’est-à-dire le véhicule. « Les banques n’ont pas besoin dans ce cas de demander une garantie », souffle-t-il.
En réussissant à mobiliser des fonds importants auprès des banques commerciales, chaque fois que de besoin, l’Aftu est devenue un acteur autonome de gestion des programmes de renouvellement du parc automobile de transport urbain. Le directeur du Conseil exécutif des transports urbains de Dakar (Cetud), Thierno Birahim Aw voit en cette association une « belle réussite » d’autonomisation et de structuration.
« Cette levée de fonds consacre un aboutissement du projet de l’Etat d’organiser la prise en charge des opérations de renouvellement par un acteur qu’il a créé, soutenu et lancé et qui a prouvé qu’il est parvenu à sa maturité opérationnelle en assurant la poursuite du programme de renouvellement en sollicitant le moins possible l’Etat. » Et si l’Association de financement des professionnels du transport urbain servait de modèle pour financer d’autres acteurs du secteur informel. ?
FINANCEMENT DE L’ECONOMIE : Le secteur informel, le talon d’Achille
Challenge ?
Embarquer tous
Dans la phase 2 du Plan Sénégal émergent (2019-2023), le gouvernement fait du développement du secteur privé national une priorité. L’enjeu est de taille, car malgré un accès au crédit qui s’est amélioré, ces dernières années, les Pme-Pmi ne représentent que 16 % du portefeuille des banques au Sénégal. Faible au regard de leur poids et des enjeux. Elles représentent environ 80 % du tissu des entreprises, contribuent à hauteur de 30 % du Produit intérieur brut et emploient 60 % de la population active. Pourtant, c’est un petit nombre de Pme-Pmi qui captent ces financements, la majorité est laissée au bord de la route parce qu’évoluant dans le secteur informel.
Le défi est donc d’embarquer le plus grand nombre à défaut de tout le monde avec des offres de financement souples et adaptées. Cela permettrait de dépasser le débat sur les griefs souvent brandis sur la frilosité des banques et autres établissements à financer l’économie réelle où avec des taux d’intérêt élevés, et avec des offres dominées par les crédits court terme ; donc peu adaptés aux besoins et des exigences de garanties en inadéquation avec les capacités de ces cibles. De leur côté, les banques invoquent les dispositions légales et prudentielles. Ce qui fait qu’elles (les banques et institutions de microfinance) sont peu impliquées dans le financement et ne jouent pas véritablement le rôle attendu dans le développement.
Les constats sont glaçants. Beaucoup d’entités économiques ne survivent pas à leur première année de création, limitant ainsi l’impact de leur contribution à la lutte contre le chômage des jeunes et à la création de richesse et d’emplois. Pourtant, les Pme-Pmi sont de puissants moteurs du développement ; elles tirent la croissance par leur contribution au Produit intérieur brut, et à la création d’emploi. Au Sénégal, elles sont le réceptacle naturel des personnes sans qualification professionnelle.
Mais face à la persistance du problème, en dépit de la kyrielle de mesures, l’équation semble insoluble, même si les ressorts ne manquent pas. Il suffit de recourir à ceux qui irriguent et entretiennent le secteur informel à savoir la confiance, la solidarité et la responsabilité. Mais au préalable, il faudra organiser les acteurs par domaine d’activité et éviter toute politisation, dès lors le mécanisme de la caution solidaire pourrait être une alternative pour régler la dette du débiteur en cas de défaillance.
Dans un secteur comme le transport urbain, la recette semble bien fonctionner. En trouvant une solution au problème de financement des acteurs de l’informel, l’économie sénégalaise gagnerait en dynamisme et en performance. Une bienheureuse perspective surtout avec l’exploitation imminente du pétrole et de gaz.
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