Le monde à l’envers : Quand le deuil vire au business
La perte d’un être cher est souvent une épreuve difficile à surmonter. Mais le plus compliqué reste les cérémonies funéraires. Car, il est souvent nécessaire d’en organiser une, en l’honneur du défunt ou de la défunte. Et ce rituel est accompagné de dépenses exorbitantes selon le statut social, l’ethnie ou la communauté religieuse à laquelle appartient la personne disparue.
A Dakar, le célèbre dicton sénégalais « KOU DEE YAA PERTE » (les morts sont toujours les grands perdants) a tout son sens au regard de comment les cérémonies funéraires sont présentées.
Il est 13 heures passées de quelques minutes à l’Unité 7 des Parcelles Assainies de Dakar. Une foule immense se dirige à la maison de la défunte. Des hommes pour la plupart, vêtus de boubous traditionnels, chapelet à la main, viennent d’enterrer K. C. Une « bonne » dame bien connue dans le quartier et surtout dans le milieu politique. Sur place, le lieu est bondé de monde. L’allée qui mène à la maison familiale est jalonnée d’installation de bâches et chaises.
Cette cérémonie censée être sobre s’est transformée en une rencontre de réjouissances. L’atmosphère d’ici est tout sauf lourde. Seule la famille et les proches semblent encore souffrir de la disparition du défunt. Sous les bâches qui contiennent ceux ou celles qui viennent présenter leurs condoléances, difficile de lire sur le visage de certains le sentiment de peur encore moins d’angoisse.
Quand le choix des plats fait oublier le disparu
À l’heure du repas, l’ambiance demeure festive. Les femmes, surtout, tiennent les discussions et ce n’est pas pour parler de la mort, mais des choses de la vie. D’autres moins soucieuses du malheur sont collés à leur téléphone pour un statut WhatsApp. Et au moment de servir le repas, chacun fait remarquer sa préférence de nourriture. Pour les femmes, maintenant, c’est du « Mbakhal bou Toye » avec piment. « Hey, grand un plat de
Mbakhal par ici », interpelle une dame, moins affectée par ce deuil. Par contre le « Thiébou Yapp », plat moins efféminé est réservé aux hommes.
Le pire est que l’image de la dépouille se retrouve partagée dans les groupes Whatshapp avec ces mots: RIP (une phrase en latin Requiescat in Pace, c’est-à-dire « qu’il repose en paix ».) ou dans le réseau social TikTok avec le son tragique de Baay Mass (Démé Ndaw, il est parti jeune)
Les femmes auparavant s’habillaient de manière discrète, sans maquillage encore moins d’objet de valeur à la main pour le respect de la douleur du prochain. Maintenant, l’habillement dépend de qui, on a affaire. Si le défunt était un nanti ou une personne socialement reconnue, la mise est soignée. C’est un maquillage discret, foulard de marque Ashly, lunette noire fumée de marque à la portée.
La monétisation du « diaxal »
Autre chose qui attire l’attention. C’est la réception du « diaxal » : un appui solidaire pour la famille du défunt. Celui-ci est reçu par un ou des membres de la famille. Des femmes sont assises sur une natte, avec une natte ou tissus où sont versée des pièces d’argent ou billets de banque. Là également la différence sociale se fait sentir. « Ceux qui ont une enveloppe bien remplie n’auront pas le même traitement que ceux qui ont des pièces», a fait remarquer, Alpha Sy, un riverain du quartier, qui en profite pour crier sa colère sur cette nouvelle pratique du deuil à Dakar.
« Ce qui me fait le plus mal est que maintenant la tendance, c’est tenir son carnet pour y noter la somme reçue pour ensuite la rembourser en cas de deuil pour son prochain. Et gare à celui ou celle qui ne rend pas la monnaie de sa pièce», prévient-il.
A chaque ethnie sa coutume. « Mais chez nous les lébous (une ethnie wolof) c’est pire », déplore la dame D. Ndoye. Elle explique que « c’est au moment où tu pleures ton mari, que des parents t’importunent avec une tradition qui consiste à sortir du « rakhassou ». C’est-à-dire une sorte de cadeau que tu dois offrir à ta belle-famille. Et ce sont des tissus, bassines entre autres objets. Maintenant, imagine que tu n’as pas les moyens pour le faire, tu seras la risée de la famille. Alors que tu es en deuil », regrette-t-elle.
Les enseignements de l’Islam pour les funérailles
L’Imam de la mosquée de Point E, Imam Akhmadou Mactar Kanté de couper court à ces habitudes bien sénégalaises. Le religieux d’expliquer que la monétisation du “diaxal” devenue maintenant courante n’est pas du tout prescrite par l’Islam. Il souligne à ce sujet que cette façon également de présenter la nourriture à gogo et sur toutes ces formes est aussi à éviter. Pour lui: « la seule chose qui permet maintenant de différencier le deuil d’un baptême ou d’un mariage, c’est la musique. Sinon, les femmes sont bien habillées, des selfies par-ci, des accolades à n’en plus en finir. Alors que l’Islam prescrit de partir après avoir présenté ces condoléances pour éviter de verser dans des conversations qui ne sont pas appropriés.»
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