Après les sanctions contestées contre la junte au Mali
La réunion d’Accra du 9 janvier 2022 a choisi de hausser le ton et de mettre le Mali à l’index et à la diète économique et financière par des sanctions qui ne toucheront pas les dirigeants mais le pays et sa population. Depuis 2020 la junte au pouvoir au Mali n’a pas su, n’a pas pu exprimer avec clarté et sincérité son projet aux chefs d’États de l’Afrique de l’Ouest, malgré les nombreuses rencontres sur le Mali. Il s’est instauré entre les militaires au pouvoir et les autres dirigeants ouest africains un climat de méfiance de suspicion réciproque débouchant parfois sur des échanges durs en dehors des rencontres formelles. La rencontre d’Accra consacre la rupture et l’escalade dans les rapports qui sont devenus ouvertement conflictuels. Qu’est-ce que les chefs d’État, attendent et espèrent de cette escalade répressive ? Qu’est-ce que la junte a mal dit, mal fait pour se faire comprendre ? Que faire maintenant pour sortir de cet affrontement dont tout le monde connaît le perdant ? Le peuple Malien.
Il est dommage que les militaires maliens n’aient pas pu convaincre de la difficulté d’organiser des élections dans un pays qui a du mal à garantir la sécurité sur son territoire. Les discussions avec la CEDEAO auraient dû insister sur les aspects du nombre de communes où les élections seraient possibles, de la validité du vote dans ces conditions.
En abordant les questions, sous cet angle, les questions de légitimité seraient vraiment au cœur du débat. La question de l’organisation des élections dans les pays victimes de la crise sécuritaire est un vrai débat aujourd’hui au Burkina et ne peut se résumer à une question de principes. Ainsi présenté, le Mali devrait bénéficier d’une oreille attentive, sinon de la sympathie du Burkina qui a les mêmes problèmes. Les erreurs de la junte qui instruisent le procès en captation de pouvoir à vie, c’est d’être revenu sur sa parole donnée après le premier coup d’État le 20 août 2020, parole réitérée après celui de mai 2021 d’organiser des élections en février 2022. Le calendrier électoral proposé est sans un argumentaire spécifique aux élections.
L’argument massue étant que le pays devrait se réformer, obtenir la sécurité avant d’y aller. Le Mali nécessite des réformes, et une transition n’est pas le pouvoir le plus habilité à refonder un État. C’est ce que le président Rock Marc Christian Kaboré indiquait à Accra à l’ouverture du sommet de l’UEMOA : « Autant nous sommes conscients de la complexité de la situation de ce pays, autant nous avons la conviction que toutes les réformes politiques, économiques et sociales visant la refondation du Mali ne pourraient être conduites que par des autorités démocratiquement élues. »
En chargeant sa barque à l’issue des assises nationales sur la refondation, avec à la clé un délai de cinq ans, pour organiser les élections, la junte proposait de se maintenir au pouvoir pour six ans. Assimi Goïta en organisant ce forum avec une partie des politiciens maliens a donné l’impression de ne pas vouloir céder le pouvoir puisque les élections sont repoussées pour un temps relativement long. Ce que les chefs d’États ouest africains ont refusé.
Les militaires maliens n’ont pas tenu compte de la peur de la contagion que les deux coups d’État du Mali et de la Guinée suscitent auprès des dirigeants civils de l’Afrique de l’Ouest. L’hostilité au coup d’État du Mali exprimé par le président nigérien qui l’a analysé comme un refus des colonels de se battre contre les groupes armés du nord du pays, est une opinion partagée dans les cercles de pouvoir en Afrique.
Au lieu que l’armée assure son devoir de préserver l’intégrité territoriale, elle abandonne le front pour le pouvoir politique. Les groupes terroristes du nord du Mali ont gagné le centre de ce pays et les pays voisins, et au sein de la CEDEAO, les pays côtiers de la Côte d’Ivoire, du Bénin et du Togo font face à leurs premières attaques. D’où l’inquiétude des présidents de laisser le coup d’État s’ancrer dans les esprits et de raviver chez les militaires ouest africains le retour du pouvoir kaki. Dans les négociations, le pouvoir malien a négligé cet aspect chez ses interlocuteurs et n’a pas produit un message visant à les rassurer et à montrer les difficultés du terrain.
Une machine à sanctions
Créée le 28 mai 1975 par le traité de Lagos, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, en adoptant le 6 juillet 1991 la déclaration des principes politiques, est devenue une organisation politique qui fait la promotion et la consolidation des systèmes démocratiques de gouvernement et qui lutte beaucoup contre les coups d’État dans la sous-région et les crises post électorales. C’est l’un des domaines où la CEDEAO est la plus visible. Elle était à l’œuvre en Côte d’Ivoire au Burkina et au Mali en 2012, 2020, et 2022 avec des sanctions. C’est lui faire un faux procès de dire que ces décisions seraient téléguidées par une puissance extérieure à la sous-région. En 2012, quand elle s’est élevé contre le coup d’État du capitaine Haya Sanogo, beaucoup n’ont pas vu la main de la France derrière cette décision.
C’est le conflit actuel entre la France et le Mali sur la présence de mercenaires russes de la société Wagner que certains brandissent comme la cause des sanctions, ce qui n’est pas exact et n’est pas évoqué par la CEDEAO.
La CEDEAO est dans ses principes et au plan économique, elle ne peut pas agir efficacement contre le Mali, c’est pourquoi l’UEMOA est passé devant pour prendre les sanctions économiques qui sont discutables sur le plan de ses textes. Les sanctions comme le gel des comptes du Mali à la BCEAO et la non approvisionnement des comptes de l’État malien dans les banques privées à partir de la BCEAO ne sont pas légitimes et elles exposent les agences maliennes de la BCEAO à des casses comme ce fût le cas en Côte d’Ivoire lors de la crise post-électorale. Les forces rebelles et le pouvoir loyaliste étant allés chacun sur le territoire qu’il contrôle se servir à la banque centrale.
Le dialogue est possible
Si les deux parties ont tour à tour fermées leurs frontières comme si c’était des portes gigognes, Assimi Goïta n’a pas fermé celle du dialogue, la CEDEAO non plus puisqu’elle promet la levée progressive des sanctions dès lors que les autorités maliennes présenteront un calendrier « acceptable » et que des progrès s’observent dans sa mise en œuvre. La junte devrait s’y atteler pour ne pas faire souffrir la population. Elle devrait entendre les propos de l’Algérie qu’elle ne peut pas suspecter d’être vendu à Macron et à son pays qui l’appelle à une attitude constructive et responsable et trouve « raisonnable et justifiable une période de transition d’une durée ferme de douze à seize mois ». En somme, une transition ne peut pas s’éterniser et ne peut pas résoudre tous les problèmes d’un pays. La division de la communauté sur la question montre que la voie du dialogue est la meilleure et celle qui préserve les intérêts de la population.
Le communiqué du gouvernement malien
Si le chef de la junte a affiché le dialogue, le communiqué gouvernemental est sur le ton martial et comminatoire « Au regard des violations répétées des textes, principes et objectifs, de ces organisations, le gouvernement du Mali tirera toutes les conséquences et se réserve le droit de réexaminer sa participation dans ces entités ». C’est ce langage qu’il ne faut pas écouter. Il sied à des gens installés confortablement dans des salons et faisant des vidéos pour les réseaux sociaux. Voilà plus de dix ans que le Mali n’a pas son destin en mains, suivi du Burkina et du Niger, incapables de lutter contre les groupes terroristes qui occupent de vastes portions du pays laissant les gouvernement avoir l’illusion de régner à Bamako, Niamey, et Ouagadougou.
Assimi a douché les ardeurs de Macron qui menaçait de quitter le Mali si les Russes arrivent, mais l’armée française est toujours là. Il ne faudrait pas que le Mali s’isole en quittant l’UEMOA et la CEDEAO, ce serait des souffrances inutiles pour le peuple qui n’en peut plus. Le Mali n’a pas toujours été dans l’UEMOA, s’il l’a intégré c’était pour de bonnes raisons, car son économie et sa monnaie étaient asphyxiées par ses voisins de cette organisation. Des aventuriers vont proposer la solution des ports de la Mauritanie, de l’Algérie et de la Guinée sanctionnée aussi. Sur le papier, c’est faisable, comment importer d’Algérie alors que l’on ne contrôle pas le nord du pays ? La frontière avec la Mauritanie n’est pas pacifiée non plus. Sans compter les incidences financières de commerce en d’autres monnaies que l’utilisation de ces ports va entraîner. Le monde est devenu complexe, globalisé et on ne peut choisir de s’isoler et de fermer les partenariats. Ce serait enfoncer davantage le Mali dans la crise.
Assimi Goïta, qui veut mettre ses pas dans ceux du grand Modibo Keita, ne doit pas écouter les sirènes du durcissement, de l’isolation et des souffrances pour le peuple malien, s’il est convaincu d’être le messie malien, qu’il se retire comme le colonel Amadou Toumani Touré et revienne prendre le pouvoir par les urnes pour dérouler son programme.
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