Préparation à la monnaie numérique
Début juin, la Banque centrale ghanéenne a annoncé qu’elle travaille sur une version numérique du cedi, faisant du Ghana l’un des premiers pays africains à se lancer officiellement dans un tel projet. L’ex-Gold Coast rejoint plusieurs pays du monde y compris de grandes puissances comme la Chine, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Brésil ou encore l’Union européenne. Alors que les cryptomonnaies connaissent une année 2021 historique, malgré la vague de répression dont elles font l’objet, les banques centrales semblent avoir trouvé le terrain sur lequel elles pourront affronter ces actifs numériques.
Selon les propos d’Ernest Addison, gouverneur de la Banque centrale du Ghana, le projet d’un cedi numérique est déjà à un stade avancé. La première phase qui porte sur la conception de la monnaie électronique a été bouclée, et la phase suivante consistera en la mise en œuvre du projet. L’institution veut développer une version pilote qui permettra à un panel de tester le cedi numérique sur des applications. Après cette étape, elle pourra décider si l’initiative est réalisable en l’état, ou s’il faut apporter des modifications au plan d’origine.
Ne pas rester en marge
Si la déclaration de la Banque centrale du Ghana a laissé entendre que le pays est la nation africaine la plus avancée sur un tel projet, d’autres Etats étudient de près la question sur le continent. Fin mai, la South African Reserve Bank a déclaré qu’elle examine les avantages de l’émission d’une monnaie numérique légale, complémentaire à l’argent liquide, pour les opérations de détail. L’étude est censée permettre à la Banque centrale sud-africaine de savoir comment se positionner. Prévue pour se terminer en 2022, elle comprendra une expérimentation pratique sur différentes plateformes technologiques émergentes, en tenant compte d’une variété de facteurs, notamment les implications en termes de politique, de réglementation, de sécurité et de gestion des risques.
Au Nigeria, le gouverneur de la CBN, la Banque centrale du pays, a révélé aussi fin mai, que la monnaie numérique va « prendre vie » dans le pays, sans donner de calendrier précis sur un tel projet.
Du côté de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), des réflexions sont en cours sur plusieurs thèmes en rapport à la digitalisation, dont une émission de monnaie digitale. « Cette question est sur toutes les tables des banques centrales. A la BCEAO, nous en sommes à des réflexions préliminaires sur cette question », a déclaré Gisèle Keny Ndoye, directrice de l’inclusion financière de la BCEAO, lors de la première édition du Forum africain de la presse économique et financière à Abidjan en mars dernier.
« Cette question est sur toutes les tables des banques centrales. A la BCEAO, nous en sommes à des réflexions préliminaires sur cette question », a déclaré Gisèle Keny Ndoye, directrice de l’inclusion financière de la BCEAO.
Selon elle, l’institution veut se donner le temps de faire des recherches sur cette nouvelle donne dans le système financier international, et voir comment on peut l’adapter dans le cadre de la sous-région UEMOA.
Vu le nombre de banques centrales à s’intéresser à la problématique dans le monde, il faut dire que les autorités financières africaines n’ont pas vraiment le choix si elles ne veulent pas être larguées. Selon les résultats d’une enquête de la Banque des règlements internationaux publiée en 2020, 80% des banques centrales dans le monde conduisent des travaux sur la monnaie numérique de banque centrale. Ces résultats révèlent aussi que 40% de ces banques concernées sont passées de la recherche à l’expérimentation d’une version numérique de leur monnaie.
Yuan numérique, dollar numérique, euro numérique, etc.
Ailleurs dans le monde, la plus récente annonce concernant un projet de monnaie numérique de banque centrale vient du Brésil. La Banque centrale du pays a publié fin mai une note précisant les caractéristiques d’une version numérique du réal brésilien. On apprend ainsi que si le projet se concrétise, la monnaie sera sous le couvert du secret bancaire, et de la loi générale pour la protection des données personnelles.
L’année passée déjà, Bahamas est devenu un des pays pionniers en lançant une des premières monnaies numériques de banque centrale au monde, le sand dollar, une extension du dollar bahaméen. Echangé en ligne et sur les téléphones mobiles, il vise à accélérer considérablement les transactions numériques dans le pays en faisant tomber les barrières entre les plateformes de paiement disparates.
Echangé en ligne et sur les téléphones mobiles, il vise à accélérer considérablement les transactions numériques dans le pays en faisant tomber les barrières entre les plateformes de paiement disparates.
En février dernier, un autre pays, la Suède, a commencé à tester une version numérique de sa monnaie, la couronne. En Russie, la Banque centrale prévoit de lancer d’ici fin 2021, un prototype du rouble numérique qui servira de mode de paiement alternatif censé réduire les coûts et les tarifs des services de paiement offerts dans le pays. Du côté du Royaume-Uni, le gouvernement a mis en place une task force pour diriger les travaux exploratoires en vue de la création de sa propre monnaie numérique (le Britcoin) alors que l’UE étudie aussi sérieusement la question d’un euro numérique basé sur la blockchain et soutenu par la Banque centrale européenne (BCE).
Toutefois, de tous ces projets, celui qui attire le plus les attentions est le yuan numérique. L’empire du Milieu fait de grandes avancées concernant ce projet et la monnaie numérique est déjà testée dans plusieurs grandes villes avec le soutien de grandes sociétés privées, comme Alibaba, JD.com, Bilibili, Didi, Meituan Dianping, ou encore les géants de la fintech Tencent et Ant Group. Selon le ministre chinois du Commerce, Wang Wentao, le pays profitera des JO d’hiver l’année prochaine pour tester le yuan numérique à plus grande échelle.
Si certains analystes voient le yuan numérique comme une potentielle menace pour le dollar américain, il faut noter que le pays de l’Oncle Sam étudie aussi la possibilité d’émettre sa propre monnaie numérique. La Réserve fédérale des Etats-Unis travaille avec le Massachusetts Institute of Technology (MIT) pour mettre en place une plateforme technologique dédiée à un futur dollar numérique.
Contrer l’influence croissante des cryptomonnaies et stablecoins
En examinant tous les projets en cours, on constate que les monnaies numériques de banques centrales ne sont qu’une forme digitale de monnaie fiduciaire, qui sera émise, contrôlée et réglementée. A la question de l’utilité, les réponses divergent. Certains pensent qu’une version numérique des monnaies fiduciaires servirait à développer une société sans cash, d’autres pensent qu’elle aidera à lutter contre la corruption et le blanchiment d’argent ou améliorer l’inclusion financière. Pour certains analystes, elle servira à réduire les coûts d’intermédiation et des paiements transfrontaliers. Autant il y a de projets, autant les justifications avancées sont multiples et comme plusieurs banques sont encore en phase exploratoire, la question divise.
Toutefois, s’il y a un point sur lequel la plupart des observateurs s’accordent, c’est que les Etats veulent contrer l’influence grandissante des cryptomonnaies, des stablecoins et les projets financiers des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft).
Toutefois, s’il y a un point sur lequel la plupart des observateurs s’accordent, c’est que les Etats veulent contrer l’influence grandissante des cryptomonnaies, des stablecoins et les projets financiers des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft).
Rappelons par exemple comment les régulateurs du monde entier se sont fortement opposés au projet de monnaie universelle adossée à plusieurs monnaies souveraines comme le dollar américain ou l’euro, annoncé en 2019 par Facebook. Ils ont fait pression et réussi à obliger l’entreprise de Mark Zuckerberg à voir moins grand pour son projet Diem (ex-Libra) en travaillant désormais sur une cryptomonnaie stable adossée au dollar américain.
Aussitôt la menace Facebook écartée, les autorités financières internationales doivent gérer la popularité de plus en plus croissante du Bitcoin, de l’Ether et de leurs pairs. Le timing de la multiplication des projets de monnaie numérique de banque centrale ne laisse ainsi que peu de doutes. Si la Chine et certains pays étudient la question depuis plusieurs années déjà, ce n’est que récemment que leurs plans se sont accélérés. Mieux, il est important de noter que les autorités de la plupart de ces pays durcissent ces derniers temps, le ton envers les cryptomonnaies.
Garder le contrôle du système financier ne sera pas facile
Pour le PDG de PayPal, Dan Schulman, le système financier international connaîtra plus de changements dans les 10 prochaines années que durant les décennies précédentes. Au cours d’un entretien accordé au Time en avril dernier, il a ainsi prédit l’arrivée d’applications de paiements mobiles qui s’occuperont des transactions avec des devises numériques et remplaceront les cartes bancaires, les cartes de crédit et l’argent liquide.
Selon lui, quand cette révolution commencera, « les banques centrales devront repenser leur politique monétaire, elles ne pourront plus simplement émettre des billets de banque, puisque les gens n’en utilisent plus ».
Selon lui, quand cette révolution commencera, « les banques centrales devront repenser leur politique monétaire, elles ne pourront plus simplement émettre des billets de banque, puisque les gens n’en utilisent plus ».
Le système financier, « inefficace aujourd’hui » devra être modernisé pour s’adapter à l’avènement des monnaies numériques.
Des Etats qui répriment les cryptomonnaies et développent parallèlement leurs propres monnaies numériques ; cela traduit une volonté manifeste de garder le contrôle d’un système qui tend à leur échapper au profit de ces nouveaux actifs numériques. Au rythme où évoluent les technologies, une chose est certaine, la tâche qui attend les autorités financières internationales est ardue.
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