Arts martiaux mixte
Depuis le 29 avril 2021, Francis Ngannou est le champion du monde poids lourd de l’UFC, la ligue la plus exigeante d’arts martiaux mixtes de la planète. Pour le Camerounais, c’est la consécration d’une vie marquée par la pauvreté, la maladie, les traversées du Sahara, mais surtout l’ambition. Effectivement, après les coups de la vie, les coups de chance, c’est cette ambition qui poussera l’hercule camerounais à entrer au panthéon des légendes de son sport.
A Douala, l’atmosphère est particulière ce 26 avril. Autour de l’aéroport international de la ville, une foule s’est massée pour y attendre son champion. Francis Ngannou, le champion du monde de la catégorie poids lourds de l’UFC, la plus grande ligue d’arts martiaux mixte de la planète, rentre au pays.
Il vient présenter aux siens la ceinture de champion, acquise un mois plus tôt. Lorsqu’il sort de l’avion, il a les épaules relâchées, les poings ouverts et aperçoit sa mère au loin. Son signe de la main à la foule déclenche de longues minutes de liesse. L’enfant du pays est rentré
Il vient présenter aux siens la ceinture de champion, acquise un mois plus tôt. Lorsqu’il sort de l’avion, il a les épaules relâchées
Ce n’est pas la première fois qu’il revient chez lui. Mais cette fois est particulière. Rien que le visage de Francis Ngannou le confirme. C’est la première fois qu’il revient avec ce pour quoi il était parti il y a près de 10 ans : la ceinture de champion.
« J’ai l’impression d’avoir manqué mon enfance »
En le voyant, porté en triomphe et acclamé, durant une parade dans les principales artères de Douala, on a du mal à imaginer que ce golgoth local n’était presque connu de personne il y a quelques années. La surprise est encore plus importante lorsqu’on découvre que certaines des rues où a été effectuée la parade, Francis Ngannou les a connues en tant que conducteur de taxi moto.
« Je sais où je suis né, mais je ne pourrais pas dire où j’ai grandi. »
Né le 5 septembre 1986 à Batié, un village situé dans l’Ouest du Cameroun, Francis Ngannou a grandi dans une famille pauvre. La situation déjà compliquée s’aggrave lorsque ses parents divorcent alors qu’il est encore tout petit. Il se rappelle que cet épisode lui a même donné envie de devenir avocat. « Je voyais comment les honoraires étaient chers », se souvient-il. Seulement, très vite, il devra oublier ce rêve et presque tous les autres, car la vie commence à lui mettre ses premiers coups. Il passe d’un proche à un autre et bientôt il est obligé d’aller vivre chez sa grand-mère qui s’occupait déjà de beaucoup d’enfants. « Je sais où je suis né, mais je ne pourrais pas dire où j’ai grandi. Chaque année je changeais d’école, de famille. Je n’avais jamais d’amis et c’est peut-être ça qui a développé mon côté solitaire », confie-t-il.
« Chaque année je changeais d’école, de famille. Je n’avais jamais d’amis et c’est peut-être ça qui a développé mon côté solitaire ».
Effectivement le jeune garçon est très solitaire. A l’école, comme chez sa grand-mère, les autres enfants lui font bien sentir qu’il est différent, qu’il est pauvre et qu’il manque de tout. Pour ne rien arranger, il est naturellement doué d’une force surhumaine.
« Quand je serrais la main des gens, ils s’énervaient parfois »
« Il suffisait que je tourne la poignée d’une porte pour la casser ou que je ferme un robinet pour que personne ne puisse plus l’ouvrir avant que je ne revienne. Quand je serrais la main des gens, ils s’énervaient parfois et me demandaient si je voulais leur casser la main », se rappelle Francis Ngannou. Cette force hors du commun sera peut-être la seule éclaircie de son enfance qui se révélera brève.
En effet, à l’âge de 12 ans, le jeune garçon est obligé d’aller travailler dans une mine de sable pour payer sa scolarité. Il doit enchaîner près de 8 heures à concasser puis ramasser des blocs de terre pour une misère. Là encore, son don l’aide bien. Alors qu’il n’a que 12 ans, il travaille avec l’énergie d’un adulte. « Quand nous étions à la carrière, à lui seul il remplaçait 2 ou 3 personnes », révèle dans un documentaire du média sportif L’Equipe, son oncle Dieudonné Kenmoe. Mais à partir de là, Francis Ngannou n’aura plus jamais de répit, partageant son temps entre la mine, l’école et tout autre petit boulot lui permettant de se faire un peu d’argent. Il confiera, des années après, avoir l’impression d’avoir manqué son enfance.
« Je devais mourir à 25 ans »
Passant ses journées entre la mine de sable et l’école, malgré les moments où la paie tombait trop tard pour payer la scolarité, avant de se faire exclure temporairement de l’école, Francis Ngannou vivote et commence à craindre pour son futur. « Je voyais les jeunes qui travaillaient dans cette mine de sable gagner la même chose que des vieux qui le faisaient depuis 20 ans et ça me faisait paniquer pour mon avenir », confie-t-il. Dans le même temps, son père décède des suites d’une longue maladie. Francis se rappelle alors toutes les souffrances accumulées par ce dernier pour essayer de subvenir aux besoins de sa famille. Ces efforts n’éviteront pas des commentaires posthumes désobligeants pour le défunt. Pratiquant de karaté, le père de Francis Ngannou avait acquis une réputation de bagarreur pugnace de rue, une mauvaise réputation selon les proches du jeune garçon. De toutes les façons, il se rappelle que son père les battait parfois, ses frères, sa sœur, sa mère et lui. « Quand je m’amusais avec mes copains, on disait de moi : il est violent comme son père », se rappelle le jeune homme. Pour cela, Francis Ngannou s’était juré de ne pas devenir un bagarreur de rue comme son père.
De toutes les façons, il se rappelle que son père les battait parfois, ses frères, sa sœur, sa mère et lui. « Quand je m’amusais avec mes copains, on disait de moi : il est violent comme son père »
Toujours dans sa quête d’honorabilité, il décide de quitter la carrière de sable pour décharger des camions au marché de Mboppi à Douala. Malheureusement, il doit également arrêter ses études à l’âge de 17 ans. Les mois passent, mais sa situation financière ne s’améliore pas. Un jour, un vieux rêve d’enfant lui revient. Autrefois, en admiration devant les films de Jean-Claude Van Damme, il s’était juré de devenir champion du monde de boxe. Il essaie de ne pas trop y penser, puis un jour la tentation est trop forte. Conscient de sa force surhumaine, il se dit que la boxe pourrait lui faire gagner de l’argent. Il décide de se lancer. De toute façon, ça ne signifiait pas devenir comme son père. « Commencer la boxe à 22 ans, c’était perdu d’avance. Les gens disaient que j’étais fou, surtout que j’étais déjà un poids lourd qui n’avait jamais fait de boxe dans sa vie. Quand j’ai mis les gants pour la première fois, les mecs en face de moi étaient trop rapides. Je n’arrivais pas à les toucher et ils me touchaient quand ils voulaient », raconte le Camerounais.
« Quand j’ai mis les gants pour la première fois, les mecs en face de moi étaient trop rapides. Je n’arrivais pas à les toucher et ils me touchaient quand ils voulaient », raconte le Camerounais.
Il continue de s’entraîner malgré les commentaires désobligeants. Tout le monde le prend pour un fou de s’imaginer un avenir dans un monde où les champions ont le pied à l’étrier dès leur plus jeune âge. « J’ai pourtant gagné mon premier combat. J’étais tellement agressif que l’arbitre a dû arrêter le combat. Mais je devais partir. Ici on ne croyait pas que j’avais de l’avenir. Je devais aller chercher ma chance parce qu’ici on n’allait pas me la donner », se rappelle le combattant.
« A un moment, j’ai décidé de ne plus être la victime de la vie, de ne plus subir »
Alors qu’il a du mal à décider quoi faire, à 25 ans, on lui diagnostique l’hépatite B. Sans argent pour se soigner, il décide de retourner dans son village pour élever des cochons et gagner de quoi payer son traitement. De son propre aveu, il se voyait perdre la vie, mais réussit à survivre miraculeusement. Il décide alors d’aller tenter sa chance en Europe. « A un moment, j’ai décidé de ne plus être la victime de la vie, de ne plus subir, de faire face », raconte-t-il. Il part du Cameroun pour le Nigeria, puis de là, il rallie l’Algérie. D’Algérie, il traverse l’enfer du Sahara pour se rendre au Maroc. Objectif, l’enclave de Melilla, pour passer en Espagne et se retrouver sur le territoire européen. Pour y arriver, il faut escalader 3 barrières barbelées de 7m de haut, truffées de lames de rasoir. 6 fois il échoue, il est arrêté et renvoyé de l’autre côté du désert. Pas question d’abandonner pour le Camerounais qui finit par réussir la 7e fois.
Pour y arriver, il faut escalader 3 barrières barbelées de 7m de haut, truffées de lames de rasoir. 6 fois il échoue, il est arrêté et renvoyé de l’autre côté du désert. Pas question d’abandonner pour le Camerounais qui finit par réussir la 7e fois.
Pour survivre dans le désert, il devait parfois boire à des puits insalubres. « Je pouvais boire cette eau et mourir. Mais si je ne buvais pas cette eau, je mourrais quand même. Alors j’ai bu », confie Francis Ngannou. Après tout ça, abandonner n’était pas une option, donc malgré les arrestations et le retour à l’entrée du Sahara, il réessayait. La 7e fois, il arrive à déjouer la surveillance des garde-côtes pour rejoindre la côte espagnole à bord d’un bateau gonflable, et rallie Tarifa. Finalement, il se fait quand même arrêter et passe deux mois en prison pour entrée illégale sur le territoire espagnol.
L’ascension du prédateur
En juin 2013, un bus le dépose finalement à Paris, dans un foyer d’accueil. Il y reste un moment avant de partir dormir dans un parking du XIIe arrondissement de la capitale française. Un jour, il rencontre Khater Yenbou, le directeur de l’association humanitaire « La Chorba ». Ce dernier lui propose un travail de bénévole. Impressionné par le 1m95 et les 113 kilos de Francis Ngannou, il lui demande d’intégrer son équipe pour participer à l’accueil des migrants. Le Camerounais accepte. Sur son temps libre, il arpente le voisinage et finit par trouver une salle de boxe. Il demande à y être entraîné. C’est comme ça qu’il rencontre Didier Carmont, instructeur de boxe qui deviendra un de ses plus proches amis. Ce dernier écoute l’histoire de Francis et demande à la salle de l’entraîner à titre gracieux. Les propriétaires acceptent.
Pour Francis Ngannou, le rêve est plus proche que jamais. Mais dès les premiers entraînements, son nouvel ami lui dit quelque chose d’étonnant. « Je te vois et à ta façon de bouger, ce charisme, tu devrais essayer le MMA ».
Mais dès les premiers entraînements, son nouvel ami lui dit quelque chose d’étonnant. « Je te vois et à ta façon de bouger, ce charisme, tu devrais essayer le MMA ».
Un peu pris au dépourvu, Francis Ngannou accepte avant de demander ce qu’est le MMA. Il s’agit des arts martiaux mixtes, un sport de combat qui mêle techniques de frappes avec pieds et poings aux techniques de luttes et de soumissions au sol. Didier Carmont conduit alors son ami camerounais dans une salle nommée « MMA Factory ». L’enfant de Batié y rencontre son premier entraîneur : Fernand Lopez Owonyebe. Véritable visionnaire, ce dernier formait les premiers talents de MMA avant même que sa pratique ne soit légalisée en France. « J’ai vu qu’il y avait eu de la précarité dans sa vie. Je lui ai donné un sac et des vêtements comme je le fais souvent dans ces cas », confie l’entraîneur qui apprendra les bases du MMA au Camerounais. Pourtant, il ne distingue pas encore Francis Ngannou des beaux parleurs qui arrivent à sa salle et promettent monts et merveilles avant d’abandonner dès les premiers obstacles. Mais le premier entraînement fixera clairement les choses.
« Je ne me rappelle pas avoir jamais rencontré quelqu’un d’aussi fort dans le sens le plus brut de la chose », confie Fernand Lopez à son entourage après leur premier entraînement. Il entraîne le Camerounais et l’emmène combattre à l’étranger après quelques combats de pancrace, une discipline proche du MMA. Francis fait ses débuts au MMA par une victoire et enchaîne jusqu’à taper dans l’œil des recruteurs de l’Ultimate Fighting Championship (UFC), la ligue américaine la plus célèbre et la plus relevée de MMA. Francis y fait ses débuts en 2015, enchaîne 4 victoires et gagne le surnom de « The Predator ».
2016 marque une étape importante dans sa vie. Après des mois à se serrer la ceinture, le Camerounais réussit à envoyer 30 000 dollars à son grand-frère pour qu’il puisse acheter un tracteur et prendre soin du reste de la famille. « D’où je viens, posséder un tracteur est l’un des principaux signes de fierté », confie un Francis Ngannou ému, sur les réseaux sociaux.
Après des mois à se serrer la ceinture, le Camerounais réussit à envoyer 30 000 dollars à son grand-frère pour qu’il puisse acheter un tracteur et prendre soin du reste de la famille. « D’où je viens, posséder un tracteur est l’un des principaux signes de fierté ».
A partir de là, il ne retrouvera plus jamais la précarité et vivra une vie de luxe. Au fil des victoires à l’UFC, Francis Ngannou devient le principal challenger du champion du monde poids lourd et véritable légende vivante de ce sport Stipe Miocic. L’Américain triomphera néanmoins trop facilement du Camerounais lors de leur premier affrontement en 2018.
Nouvelle traversée du désert avant la consécration
Après la défaite contre Stipe Miocic, des différends entre Francis Ngannou et son entraîneur vont saper l’ambiance entre les deux hommes. Fernand Lopez déclarera que Francis est difficile à coacher à cause de son égo. Le Camerounais ne supporte pas la déclaration et les deux hommes arrêtent de travailler ensemble malgré la longue histoire et l’amitié qui les lie. Néanmoins, malgré des déclarations dans la presse, ils continuent de garder du respect l’un pour l’autre. Francis Ngannou perd également, contre toute attente, un autre combat. Il subit alors de nombreuses critiques dans la presse américaine et française qui rappellent son problème d’égo. Francis Ngannou part alors à Las Vegas, rejoindre l’écurie Xtreme Couture. Avec un nouveau coach et une nouvelle équipe, le Camerounais reprend son ascension. Les traversées du désert il connaît et il sait surtout en sortir. Ses relations sont glaciales avec l’UFC, mais en quelques combats, Francis rappelle à tout le monde qu’il est spécial.
« Je devais aller chercher ma chance parce qu’ici on n’allait pas me la donner ».
Il étale l’Américain Curtis Blaydes en 45 secondes, l’ancien champion du monde Cain Velasquez en 26 secondes, la légende brésilienne Junior Dos Santos en 71 secondes.
Il étale l’Américain Curtis Blaydes en 45 secondes, l’ancien champion du monde Cain Velasquez en 26 secondes, la légende brésilienne Junior Dos Santos en 71 secondes.
En 2019, Francis Ngannou bat le Surinamien Jairzinho Rozenstruik en 20 secondes. Il fulmine et réclame une autre chance contre Stipe Miocic. Il l’obtient 2 années plus tard. L’UFC programme le combat pour le 27 mars 2021. L’atmosphère est différente. Cette fois, les spécialistes craignent pour l’intégrité physique du champion américain, tant Francis Ngannou semble monstrueusement en forme. « Francis va le brutaliser », prévient Fernand Lopez, son ancien coach. La prédiction se réalise. Après avoir dominé le premier round, Francis Ngannou étale son adversaire d’une droite au début du second round. C’est fini. La défaite est oubliée. Les galères et les traversées du désert aussi : Francis Ngannou est champion du monde de MMA. Il y est arrivé, finalement. Il exulte et remercie son adversaire. « Il fait ressortir le meilleur de moi », confie le Camerounais. A ce moment, pense-t-il à son père, à tous les sacrifices, à sa brève enfance…
Le Cameroun exulte. La victoire fait le tour des médias du pays et même du continent. Il faut savoir que le MMA est de plus en plus regardé en Afrique. Normal quand on remarque que des champions africains dominent 3 catégories à l’UFC. Si le Camerounais Francis Ngannou domine la catégorie des poids lourds, le Nigérian Israel Adesanya domine celle des poids moyens, tandis qu’un autre nigérian, Kamaru Usman, domine celle des poids welters. Sur le continent on sent bien que l’Afrique, un continent où on apprend tôt à se battre, a une carte à jouer au MMA. Certains pays lancent même déjà des ligues nationales. Francis Ngannou, la figure de proue de cette révolution africaine au MMA, semble plus que jamais heureux depuis qu’il a conquis le titre. « Il n’y a aucun endroit où je me sens plus en sécurité que dans la cage [octogone de combat au MMA ; Ndlr] », confie-t-il
« S’il n’y a pas d’incidents de parcours, Francis pourrait écrire l’histoire du MMA », déclarait son premier entraîneur, il y a quelques années. Effectivement, l’histoire du Camerounais est en marche et avec elle celle de toute l’Afrique dans le MMA.
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