Pour fuir la crise
En sus de la guerre en Syrie voisine sans compter les flux migratoires dus aux réfugiés en provenance des zones à risque, les libanais font face une crise économique et politique sans précédent. Pris à la gorge par la crise, de plus en plus de Libanais quittent leur pays pour s’installer sur le continent africain. Ainsi, en l’espace de quelques semaines, Dakar, Abidjan, Casablanca sont devenues les destinations privilégiées de ces migrants. Toutefois, les risques sont énormes avec de possibles infiltrations d’individus proches de certains groupes armés et même, un blanchiment de capitaux à travers des transferts obscurs.
À Nabatiyé, la plus grande ville du Sud-Liban, Mohammed Patrice Reda attend son visa pour la Côte d’Ivoire. Le jeune homme de 24 ans a toujours rêvé de devenir ingénieur mais il n’imaginait pas qu’il devrait parcourir des milliers de kilomètres pour décrocher son premier poste.
« Quand j’ai eu mon diplôme, j’ai tout de suite commencé à envoyer des candidatures au Liban, mais je n’ai trouvé que des stages non rémunérés. J’en ai fait trois, mais ils n’ont débouché sur rien. Plus je cherche et plus je me rends compte que la situation économique est intenable », dit-il.
Côte d’Ivoire, Sénégal et Nigeria envahis par des centaines de libanais de tout âge
Troisième pays le plus endetté au monde, le Liban traverse actuellement l’une des crises économiques les plus pointues de son existence. En quelques mois, la monnaie locale a perdu six fois sa valeur, entraînant avec elle une spirale d’hyperinflation que rien ne semble pouvoir arrêter. Les salaires ne valent plus rien et les Libanais s’enfoncent à vitesse grand V dans la misère. Selon les Nations unies, le nombre de personnes n’arrivant pas à subvenir à leurs besoins de base – et notamment alimentaires – a doublé en 2020 pour atteindre 55 % de la population.
Face à cette situation, impossible de savoir combien de Libanais sont entrain de plier bagages. Mais une chose est sûre : ils sont nombreux à s’exiler. Et le phénomène n’est pas nouveau. Fuyant les massacres et les guerres depuis le XIXe siècle, les Libanais constituent l’une des plus importantes diasporas au monde avec environ 12 millions de membres, soit quatre fois la population du pays. Parmi eux, quelques centaines de milliers – pour la plupart originaires du sud-Liban – se sont installés en Afrique, notamment en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Nigeria.
En ces temps de pandémie et de récession, émigrer vers les pays africains est plus simple que de tenter sa chance en Europe ou aux États-Unis. Les voyages en avion ne sont pas suspendus et il suffit en général d’une simple lettre d’invitation d’un proche résidant sur place pour obtenir un visa.
Le père de Mohamed vit déjà à Abidjan, où il possède une boulangerie. « Je ne connais pas ce pays mais je suis certain qu’on y vit mieux qu’au Liban. Je me renseigne beaucoup sur Internet et j’espère rencontrer des Libanais sur place. J’ai hâte de commencer à exercer mon métier, de construire ma vie… J’ai des rêves plein la tête », explique-t-il. En attendant le jour du départ, il est bénévole pour une ONG locale qui distribue des colis alimentaires aux familles les plus frappées par la crise.
Un danger accompagne ces flux d’arrivées avec la possibilité d’infiltration et de transfert d’argent proche du blanchiment d’où une surveillance aiguë
Envoyer l’argent n’est pas simple. Avant la crise, une partie des sommes circulaient à travers le système financier classique. Mais depuis un an, les banques libanaises bloquent les retraits à quelques centaines d’euros par mois. Si les agences de transfert sont encore accessibles, il n’y a aucune trace de la précieuse aide au bureau Western Union de Zrariyeh.
Le directeur, Ali Hachem, qui a lui-même passé dix ans à Abidjan en tant qu’employé d’une usine de plastique avant de contracter le paludisme, reçoit bien quelques transferts, mais la grande majorité de l’argent circule en cash. « Pour éviter les commissions, ce sont des valises qui arrivent. Tout le monde utilise ce système, sinon on ne peut pas vivre », dit-il .
Autre avantage du liquide : la discrétion. Car dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, les opérations financières de la diaspora libanaise installée en Afrique sont surveillées de près par la communauté internationale, les États-Unis en tête. En cause, son rôle présumé dans le financement du Hezbollah, puissant parti libanais soutenu par l’Iran. À Zrariyeh, comme dans beaucoup de villages au Sud-Liban, les drapeaux à la gloire du parti de Dieu et de ses combattants martyrs bordent les routes.
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