Autoroute Dakar-Saint-Louis
Des conducteurs de “Waar gaïndé” ou taxis clandestins sont peu loquaces sur le sujet de cette voie routière qui relierait Dakar à Saint-Louis par la côte. Si des récits de routiers aventuriers décrivent des paysages idylliques ou que de rares articles de la presse et certains forums spécialisés, l’évoquent, bon nombre de sénégalais s’interrogent encore sur la réalité de cette route qui partant de Dakar, longerait la côte atlantique jusqu’à Saint-Louis.
Mais qu’en est-il véritablement de cette fameuse voie littorale ? Existe-t-elle réellement ou est-elle simplement une appellation ? Si cette route existe vraisemblablement, par où peut-on l’emprunter ? Est-elle sûre ou dangereuse ? Praticable ou chaotique ? Quelles villes ou quels bourgs traverse-t-elle ? Quelle est sa longueur? Réduit-elle considérablement la durée du trajet Dakar/Saint-Louis ?
C’est dans le but de tenter de répondre à toutes ces questions des voyageurs lassés de la pénibilité du trajet et terrifiés par les accidents récurrents sur la RN2, que j’ai décidé non seulement de rechercher cette voie mais également d’en faire l’expérience pratique.
Ainsi, partant de Dakar par la VDN, après moult égarements et un périple harassant sur des routes chaotiques, j’arrive à Saint-Louis. Mais, je ne m’attarderai pas sur les détails de ce parcours aller, que je considère comme un repérage consistant à pouvoir détailler davantage le périple du voyage retour St-louis / Dakar, que je me propose de vous restituer.
Par ailleurs, l’objectif étant de fournir aux futurs candidats à cette aventure des informations précises, je me suis aidé lors de la rédaction de l’article, d’une carte : IGN (carte touristique, Sénégal 1 :1000 0000) ainsi que de Google Earth, pour corriger et situer plus précisément certains lieux. Vous le remarquerez, je me suis, non seulement, risqué à quelques commentaires ou analyses sur des situations particulières, mais également engagé à vous faire partager -grâce à la documentation glanée sur le Net- l’immense potentiel écologique, historique, économique, social et culturel de la Zone des Niayes. Je me ferai l’écho des futurs projets gouvernementaux, susceptibles de bouleverser fondamentalement, dans les prochaines années, la Grande Côte.
On est Dimanche. La révision du pick-up et le plein de gasoil, effectués, je quitte Saint-Louis à partir du quartier Ndjoloféne en direction de Dakar. Au niveau de Cité Niakh, sur toute la jetée, une légère brune rafraîchit la matinée. L’astre naissant darde timidement le ciel de ses premiers rayons. Les pneus du véhicule semblent pâteux sur l’asphalte, mais le grondement du moteur qui s’échauffe progressivement présage la cadence soutenue du voyage. Sur le bord du talus, un binôme de jeunes guinéens hâte le pas. Sur la tête de l’un, est déposée la bassine remplie de crevettes. Sur l’épaule de l’autre, repose la sienne qui a servi à capturer les précieux crustacés. Ces jeunes sont pressés d’aller céder leurs prises aux revendeuses afin de pouvoir commencer chacun, sa seconde activité. En effet, vendeurs de fruits ou laveurs de voitures le jour, ils sont également susceptibles d’être pécheurs à pieds ou gardiens, la nuit. Je ne connais aucun “peulh-fouta” au chômage! A vrai dire, ces jeunes étrangers matinaux sont plus pragmatiques à tirer profit des ressources locales abondantes et disponibles, que les centaines de milliers de jeunes sénégalais encore occupés à chauffer le lit.
Au niveau de la digue, des paramilitaires usent de stratagèmes en pratiquant l’auto-stop à proximité des fonctionnaires de police déjà sur le-qui-vive. C’est connu, la tenue confère certains avantages. A la fourche, quand je dépasse l’Hôtel Méridien, un passant porte sur l’épaule sa hache, prête à étaler les derniers colosses branchus.
Vers le parc de Guembeul, on frôle la catastrophe quand deux jeunes phacochères échappent in extremis aux roues du pick-up lancé à vive allure. Heureusement que la laie et ses marcassins restés sur le bord, ne se sont pas engagés! Le véhicule surprend un vol de pélicans. Ces oiseaux sont si bas qu’on distingue nettement le bruissement de leurs ailes, ainsi que leurs regards inquiets projetés sur le véhicule. Au sol, plus loin, une troupe de singe-rouges rentre de rapine nocturne. Des petits sont lovés sous le ventre des femelles. Les joues des primates sont gonflées de fruits. Décidément la faune est au rendez-vous ce matin !
Au niveau du chenal coupant en deux ce bras du fleuve, des pécheurs qui ont franchi la barrière du parc, semblent imiter les singes voleurs en jetant leurs éperviers dans ces frayères interdites. Les poissons juvéniles qui n’ont pas échappé aux fines mailles des pécheurs, frétillent sur la berge. Ils sont peu rentables aux yeux de ces pécheurs très sélectifs et indifférents à l’agonie des petits Obeu, room et wass. Délaissés sur la berge, ces petits poissons font le bonheur des oiseaux marins. Que veut-on, la ressource est là. Disponible. Infinie à leurs yeux. Mais qu’on ne s’y trompe, les quantités effroyables de juvéniles qui pourrissent ou sèchent au soleil en disent long sur le risque du non-renouvellement des stocks.
7h46. On est à Gandiol. A la sortie, une signalisation indique : Léona-Potou-louga. Nous la prenons. Cette route totalement dégagée sur laquelle je m’engage, me renvoie au dynamisme des jeunes guinéens et à l’immobilisme problématique des jeunes sénégalais en général. En effet, je ne peux que déplorer le manque de réalisme de ces jeunes ndar-ndars incapables de mesurer à suffisance l’immense potentiel économique de leur région, contrairement aux jeunes étrangers. Il est impératif de sortir les jeunes sénégalais du cercle improductif dans lequel les ont enfermés les khoumbeuls et autres matchs de foot, des nawéttanes, pour les orienter vers des activités génératrices de revenus. Nos autorités y ont une grande part de responsabilité. En plus de la stratégie du récréatif, du passif et de l’oisif neutralisants, l’occupationnel est décisif pour détourner durablement les regards des jeunes des véritables problèmes du moment et des enjeux du futur. Quel paradoxe en cette période de nawett ( hivernage ) où l’initiative et l’entreprenariat, doivent être à leur summum! En effet, jadis les nawéttanes ( ainsi de l’origine même du mot ) étaient des opportunités rêvées de se faire d’intéressants pécules. Aujourd’hui, ils sont des moments récréatifs. Cette prise de conscience qui sera électrique -donc violente- ne sera pas la solution. Préférons-lui, l’élévation de la conscience qui permettra à la jeunesse africaine de savoir que loisirs improductifs et initiatives entrepreneuriales sont antinomiques.
Et puis, ces compétitions sportives et folkloriques ont certes leurs vertus –concédons-le aux initiateurs des ASC et des nawéttanes- mais sont aussi confrontées à d’inextricables limites: fractionnisme au lieu de l’unité indispensable; rivalité stérile et non émulation mutuelle ou violence à la place de fraternité! L’image de jeunes saint-louisiens soulevant un trophée et parcourant exaltés les ruelles des quartiers ou qui s’enthousiasment sur la chorégraphie des danseuses, est vraiment insensée quand on habite une Région à l’aune du pétrole et du gaz. Personnellement, je ne crois ni au mirage du pétrole, ni au miracle du gaz, tant existent des exemples de contrées du Sénégal, où les ressources naturelles qui y sont exploitées depuis des décennies, n’ont pas fait le bonheur des populations locales. En effet, si hier, l’exploitation des ressources halieutiques, du phosphate, du marbre ou de l’or.., n’a pas profité au peuple, pourquoi aujourd’hui le gaz, le pétrole ou le zircon de Diogo -sur lequel je reviendrai- changeraient-ils cette logique? L’Agriculture intégrée oui !
Nous dépassons Mouït. Plus loin à ma droite, c’est le fleuve. La mangrove en reconstruction étale ses feuilles vertes au soleil qui est splendide! La marée descendante dévoile des milliers d’huîtres accrochées aux racines des palétuviers. Les bras de mer et les marigots de cette zone abritent quantité de crabes, mollusques et autres crustacés. Par exemple vers Gandiol et Djéli-Mbam la brèche -dévoreuse de pêcheurs guet-ndariens- semble se racheter en ressuscitant les coques et les palourdes qui atteignent des tailles et des quantités impressionnantes. C’est le seul aspect positif de cette catastrophe écologique. Mais, concernant ces ressources, si ce n’est la consommation familiale ou leur commercialisation par quelques femmes, elles sont globalement mal exploitées par les autochtones. Si ces derniers devraient s’y adonner pour se créer des revenus conséquents, ils doivent dépasser le stade de cueillette et demander -à l’instar des populations de la petite côte- à être formés à l’ostréiculture pour présenter des produits de qualité. Par exemple, c’est l’installation de la station ostréicole de Joal en 1940 et la formation des exploitants, qui ont fait qu’aujourd’hui, Joal-Fadiouth est le principal centre de production d’huîtres du Sénégal.
Panneau suivant : Degouniaye, Lakharaar, Sowene… Le paysage est joli, calme, frais, agréable. Nous dépassons l’”Hôtel Océan Savane” qui trouve toute sa place dans ce décor sublime. Si l’aspect touristique est validé, l’activité agricole se dévoile avant Gabar, à travers des jardins maraichers très bien entretenus.
Gabar! Une vérification ultérieure sur Google-Earth me situe dans la Région de Louga alors qu’on pensait encore être dans la Région de Saint-Louis, dont le village de Degouniaye semble être la dernière localité sur ce tronçon, avant la Région de Louga. Par cette voie, 25 minutes environ suffisent pour sortir de la Région de Saint-Louis. Par la RN2, il en faut bien davantage pour arriver à Sakal première localité de la Région de Louga en venant de St-louis. Pour revenir à la charmante localité de Gabar, c’est là où s’engouffre et s’écrase en cul-de-sac ce qui reste du fleuve Sénégal.
Nous arrivons à une intersection quelques minutes après Gabar. Sont fléchés au panneau : Potou à droite ; Louga, Lompoul, Léona à gauche! En bifurquant à gauche nous avons le soleil en plein visage. Les visières se rabaissent aussitôt! Google-Earth nous apprend plus tard que nous cheminions vers l’Est et non vers le Sud.
La route qui mène vers Léona est belle! Le marquage au sol net. Quel plaisir de rouler sur une route sans nids-de-poule ni dos-d’ânes, aux marquages au sol et à la signalétique impeccables! Cette route étant vallonnée, il est difficile par conséquent de distinguer ce qui arrive de derrière l’horizon. La prudence doit être de mise! Des troupeaux impressionnants de dromadaires sont visibles. Attention à ne pas se faire surprendre par les redoutables dos-d’âne à l’entrée de Léona. A environ 400 mètres après les dernières habitations du bourg, il faudra prendre absolument à droite au niveau du talus central, sinon vous arrivez à Louga.
J’arrive à Rayet vers 8h10 puis Kone-Kogne quelques minutes plus tard! Depuis Saint-Louis nous n’avons croisé aucun véhicule et aucun, ne nous a dépassés.
De vastes domaines agricoles sont en cours d’aménagement. Certains sénégalais clairvoyants comptent déjà mettre à profit ces terres qui ne demandent qu’à être mises en exploitation. À coup sûr, d’ici quelques années cette zone sera transformée. Seules trois antennes vers Porokh Diokh Mody défigurent ce décor merveilleusement vallonné et arboré.
Fausse note aussi à Santi Badiéne où à l’entrée du village un troupeau de chèvres répandant ses déjections à même le sol, donne à la terre une teinte noirâtre immonde. Heureusement, plusieurs dizaines de kilomètres plus loin, la savane paraît corriger, en imprimant sa marque avec talent. En effet, les arbres disséminés un peu partout tels des spectres statufiés, insinuent au cœur de cet espace silencieux, une menace virtuelle. Le couvert herbacé de ces vastes étendues steppiques composées de graminées, fait de ces derniers, les pions d’un jeu de dames sans limites. Exposées au vent frémissant, les branchettes des graminées sous toile de fond de l’obscurité finissante, zèbrent les ondulations rouge-sombres du sable de dunes, de leurs puissants reflets dorés produits par l’astre naissant. L’ensemble crée une harmonie chromatique d’une extrême beauté. Et quand ces couleurs chaudes du sol rencontrent le froid bleuté profond du ciel matinal, le contraste offre un tableau digne d’une carte postale. Ce panorama magnifique semble confirmer les propos des routiers aventuriers qui parlent de paysages idylliques. Ne manquent dans ces descriptions que les autruches et les girafes, pour donner vie aux récits de Mugo Park, qui en parcourant la région du Ferlo en 1795 décrit dans son ouvrage “Voyage dans l’intérieur de l’Afrique” une savane très verte, remplie d’animaux sauvages. Mais, revenons sur notre route après cette envolée poétique !
8H30.Suite au passage d’un magnifique troupeau de vaches bien grasses, nous croisons enfin la première voiture. C’est un Waar Gaïndé! Des passagers sont agglutinés dans le frêle taxi clandestin. Le conducteur a réussi à me dévisager sur le flash du croisement. Je lui rends sa monnaie! Un coup d’œil au rétro me permet de relever le chancellement latéral très marqué du tacot dont les amortisseurs méritent d’être changés. Le conducteur tient le volant tel un pilote de course automobile. Sa vitesse excessive explique-t-elle son regard coupable? En tout cas la qualité de la route incite à l’excès de vitesse! Mais diable à quelle heure ce taxi clandestin a-t-il quitté Dakar pour être de si tôt à une heure de route de Saint-louis ?
Vers Bouléle deux voitures immatriculées Thiés me croisent à leur tour. Suis-je déjà dans la Région de Thiés? Je traverse une succession de grandes dunes fixées par des plants d’eucalyptus. L’infrastructure ici, révèle de grands travaux d’aménagement routier exceptionnel. Avouons-le! On distingue au loin le minaret d’une mosquée qui rivalise avec les sommets des arbres touffus. Les arbres sont nombreux dans ce joli village dont j’ai ignoré le nom avant d’avoir consulté Google Earth. C’est Lompoul situé à gauche, sur la route menant à Kébémer. J’ai profité de la sérénité des lieux en marquant une pause à quelques mètres du rond-point où une signalisation indique: Kébémer sur la gauche et Lompoul /Sur/Mer en face.
Le poste colonial qui fut créé en 1861 à Lompoul, semble avoir grandement contribué à l’expansion de ce bourg. En effet, cette localité qui a jusqu’ici vécu principalement de la pêche et du maraîchage, voit aujourd’hui son activité se diversifier à la faveur du développement à grand pas du tourisme. Le fascinant désert de Lompoul dont les dunes atteignent près de 50 mètres de haut n’est pas étranger à ce succès international. L’on ne peut malheureusement pas apercevoir ce désert, de la route. Par ailleurs, la vie culturelle de Lompoul est animée par le Festival du Sahel, qui est une rencontre musicale rassemblant un large public cosmopolite. Cette digression culturelle marque la fin de ma pause !
En reprenant la route j’hésite sur le trajet. Je distingue une station de travaux publics sur ma droite. Des engins de terrassement et des bitumeuses y sont parqués. Des ingénieurs ou techniciens chinois s’affairent à donner des ordres aux ouvriers sénégalais. C’est donc une entreprise chinoise qui semble avoir réalisé l’infrastructure routière! Un ouvrier sénégalais m’indique la direction de Dakar, mais parle curieusement de “La route des Niayes”. Surpris, je lui demande de répéter. Ce qu’il fit, tout en pointant un tronçon routier cabossé et étroit. Je réalise alors, que les belles réalisations routières s’arrêtent au rond-point… Que la belle route prend donc fin ici! Dépité, je m’engage tout de même et les secousses du pick-up annoncent le début d’un rang-rang dont j’ignore l’aboutissement.
La route est très étroite mais le paysage beau! Des arbres serrés et touffus donnent l’impression de forêts. Ceci tranche assez nettement avec le paysage clairsemé jusqu’ici parcouru. Le feuillage touffu empêchant d’apercevoir une voiture susceptible de déboulonner à tout moment, appelle à ne pas se distraire dans ce décor fantastique caractérisé par l’alternance de hautes dunes et de profondes cuvettes. Il y a l’effort du conducteur d’être rassemblé, concentré sur la route.
Quelques kilomètres plus loin, après avoir suivi la longue courbe qui s’est orientée vers l’ouest, j’aperçois à ma gauche une route légèrement ensablée. Je lève le pied instantanément et baisse la vitre. Immédiatement une immense fraicheur m’envahit, met mes sens en éveil et oriente mon regard vers le lointain. Je cherche la mer. Quelque chose me dit que le littoral est proche. Sans doute cette sorte de fines particules humides en suspension dans l’air, cette brume, la légère opacité du ciel à l’horizon, cette odeur iodée. Sur ce moment, j’ai nourri l’espoir de pouvoir enfin effectuer le reste du trajet le long de l’océan atlantique jusqu’à Dakar. Mais, le fait que cela ne se soit pas passé au voyage aller me rend perplexe.
L’inquiétude fit place à l’euphorie. L’angoisse de me retrouver dans une voie-sans-issue. C’est alors que je vis une silhouette qui me fait signe de m’arrêter. Le bonhomme me demande si je vais à Dakar.
J’hésite à lui répondre pensant qu’il s’agit d’un auto-stoppeur, puisqu’il n’y a plus de places, ni dans l’habitacle du véhicule, ni dans la malle arrière qui est pleine. En me retournant, je lui réponds par l’affirmative. “Dans ce cas prenez à gauche, parce qu’en allant tout droit, vous arriverez à Lompoul S/Mer!” me dit-il! Le remerciant, je prends à gauche.
La voie ne paie pas de mine, mais elle est praticable. Elle laisse apparaître un village apaisant et très joli, avec en arrière-plan de gros arbres et des champs maraichers verdoyants. Ce village dont j’ignore le nom a un charme inouï.
Une borne kilométrique marque R30 et nous traversons Mbess. Sommes-nous toujours dans la Région de Louga ou celle de Thiès? Google-Earth me situera dans cette dernière. Incroyable! Par cette voie, la Région de Saint-Louis est à peine à une heure de la deuxième région économique du Sénégal,Thiès ! En fait Lompoul sur cette zone, semble vraisemblablement être la ville frontière entre la Région de Thiès et celle de Saint-Louis.
8h45 à ma montre. Environ une dizaine de kilomètres plus tard, un panneau signale que je suis dans la communauté rurale de Mboro. Dans de magnifiques champs maraichers s’activent au bêchage et à l’arrosage, beaucoup de jeunes.
J’aborde une série de dos-d’ânes, dont certains ont une hauteur dangereuse. Une borne kilométrique marque N8 et indique que je me situe à 21 km de Diogo et à 38 Km de Mboro. Une dizaine de kilomètres plus tard, une voie en latérite coupe la route. En me renseignant, un garde placé au croisement m’informe que je suis au niveau de la compagnie C.C.O. Il m’indique la direction menant à Diogo. Un poste de gendarmerie est positionné de manière stratégique à proximité de l’entrée de cette entreprise chargée d’exploiter le zircon. L’on peut se demander, contre quoi ces sociétés étrangères sensées apporter le bonheur aux populations locales dont elles exploitent les ressources, devraient-elles être protégées ?
Des champs maraichers verdoyants nous accompagnent jusqu’à Diogo. La route qui mène à cette ville est satisfaisante. Les premiers habitants de Diogo rencontrés, ne sont pas souriants et une sorte de dépit semble se lire sur leurs visages encore endormis. La rue principale du bourg est constellée de nids-de-poule. Des dos-d’ânes anarchiquement installés mettent à rude épreuve échines et fesses. La ville lugubre de Diogo offre un spectacle désolant. En effet, le bourg est sale. Des déchets plastiques voltigent partout. Des centaines de pompes agricoles à réparer ou à vendre sont exposées sur la chaussée. Le sol est auréolé de suie et d’huile de moteur usagée. Noirci, il souffre des vidanges qui y ont été effectuées.
En voyant cet environnement délabré et la mine triste des habitants de Diogo, quel sujet de méditation, de s’imaginer que c’est de cette localité -qui devait être parmi les plus riches du Sénégal- que sont extraits des milliers de tonnes du minerai hautement stratégique. Le zircon. La gendarmerie a bien fait de s’installer parce que, lorsque ces populations réaliseront – de par la fin de la jouissance de leurs terres, le déclin de leur bien-être et la perte de leurs activités économiques traditionnelles- ne plus pouvoir supporter indéfiniment les impacts de l’extraction sans en tirer les avantages, elles ne manqueront pas de se révolter. Il est clair que les bénéfices du Zircon profitent davantage aux actionnaires étrangers qu’aux populations locales. Qu’en serait-il de Diogo, si les recettes fiscales engendrées servaient aux budgets locaux? Les dotations et les équipements sportifs offerts par l’entreprise ne sont que des cache-misères destinés à masquer la spoliation. Par ailleurs, qui peut confirmer l’acceptation durable des populations locales de la présence d’une sécurité presque exclusivement dédiée à une entreprise étrangère? Nous n’avons pas constaté de poste de gendarmerie à côté de l’entreprise chinoise de Lompoul par exemple! Pourtant, c’est elle qui a réalisé la belle infrastructure routière de Saint-louis à Lompoul, utile à la population et à l’économie du pays! La présence de cette gendarmerie démontre la prise de conscience implicite des autorités et de l’entreprise, d’un forfait. En définitive, la situation de Diogo est celle d’autres localités du pays impactées par l’industrie minière étrangère qui s’attèle, à la course aux profits à laquelle les populations locales ne prendront jamais part.
9h 40 ! Je suis à Darou-Fall, dans la communauté rurale de Darou-Khoudoss. Je rencontre enfin les premiers postes de contrôles des gendarmes à 15 km de Mboro! De Diogo à Mboro la route est un calvaire !
Enfin! Ce grand bourg arboré est splendide. Le dépaysement est garanti par l’effervescence florale et la végétation typique. En effet, quand le palmier à huile, maître des bassins de Mboro, déploie sa coiffe jusqu’à hauteur des dunes de sable, les cocotiers, les manguiers, les moringa et autres fruitiers quant à eux, plastronnent à leur tour. Cette ville est caractérisée par sa verdure mais surtout par ses nombreuses dépressions humides, ses lacs et cuvettes d’où affleure la nappe phréatique qui, favorisant la décomposition organique, rend ces milieux très fertiles. L’hygrométrie y est élevée. L’histoire de la géologie des Niayes, nous renseigne qu’il s’agit des vestiges d’anciennes vallées remontant aux périodes pluvieuses du quaternaire récent. L’on est loin de s’imaginer, que dans ces témoins d’anciens refuges forestiers, vivaient jadis des crocodiles et des hippopotames. On trouve de tels environnements en Gambie et en Casamance, mais ces reliques forestières des Niayes ne laissent pas indiffèrent. Elles suscitent l’imaginaire et réveillent l’inconscient collectif devenant ainsi de pertinents outils pédagogiques pour la sensibilisation des populations sénégalaises -la jeunesse en particulier- à la protection de ces écosystèmes continuellement agressés.
Ce qui caractérise également Mboro, c’est l’intense activité économique qui s’y développe. Pinet-Laprade -ancien gouverneur du Sénégal- qui entre 1862-63, trouvant à Mboro quelques hameaux Peuls, aurait du mal à s’imaginer que l’agglomération a compté en 2013, près de 30.000 habitants. Comme il s’étonnerait également que la petite station agricole de 1936 destinée à la production maraichère afin d’attirer les populations du voisinage, a fait aujourd’hui de Mboro un des plus grands centres de production horticole du pays.
Le marché de Mboro semble être le témoin de ce dynamisme économique. Dommage que ce marché sympathique mais embouteillé -parce que situé sur une artère principale- retarde le trajet. Toutefois, les voyageurs peuvent se consoler à travers la grande diversité de légumes, de fruits et de plantes aromatiques à très bons prix, proposée. Si les productions agricoles de la zone comme les produits laitiers, les viandes et les volailles, n’arrivent pas à forcer à la pause le voyageur le plus pressé, la fraicheur des ressources de la mer toute proche finira par le convaincre de s’arrêter. À coup sûr, un cadre de vie agréable et un niveau de vie facilité, rajoutés à l’extraction et la transformation des phosphates, du climat favorable et du potentiel touristique de la zone, ne tarderont pas de faire de Mboro une ville incontournable, appelée dans les années à venir, à jouer un rôle décisif dans le dispositif économique de la Grande Côte.
Ainsi, depuis 2002 la localité est érigée en commune et est rattachée au département de Tivaouane dans la région de Thiès. La gendarmerie de Mboro et le rond-point annoncent la sortie du bourg. Le panneau n’étant pas trop visible, prendre immédiatement à gauche! Une borne situe Notto sur la N8.
9h45 ! J’aperçois au loin des formes longilignes. Ce sont d’imposantes éoliennes totalement immobiles! Elles semblent dénaturer le paysage. Mais écologiste dans l’âme, j’adhère totalement à doter notre pays d’énergies renouvelables. Je valide et encourage l’option des autorités. L’immobilité des pâles de ces monstres d’acier, dénote d’avec la danse endiablée des palmiers et des cocotiers filiformes de Mboro. Notto est à 18 km me signale la borne.
Vers Oumar Mari une équipe d’ouvriers munie de longs balais, s’affaire à nettoyer la route. Les ouvriers tentent de débarrasser l’asphalte de la poudre jaunâtre qui la recouvre.
À 11 km de Notto la route est refaite. Elle est très praticable et sur les côtés, d’immenses champs maraichers s’étalent sur des kilomètres. Une plantation de manguiers est particulièrement impressionnante par ses dimensions.
Il est 10h06 et un panneau nous signale: Notto / Bayakh tout droit, Mont-Rolland à gauche. Le défilé des camions citernes remplis d’acide sulfurique est ininterrompu. Sur plusieurs kilomètres le bord de route et l’asphalte sont peints d’une poudre jaunâtre où à Mbir Ndao, elle prend carrément l’aspect d’un dépôt. Il est légitime de s’interroger non seulement des risques pesant sur la santé des populations, mais également sur leur sécurité physique, dus à ce ballet incessant de gros camions sur cette route étroite.
Nous traversons successivement Thor à 10H25 puis NDiender, pour être à 10h33 à Bayakh dernier bourg de la Région de Thiés. Gorom 2 que nous atteignons vers 10h 40 nous fixe définitivement dans la Région administrative de Dakar. Nous voilà arrivés à destination de notre périple !
Après Gorom 2, nous arrivons à Gorom 1 et enfin Bambilor que nous atteignons vers 10h 48. Nous croisons Niacoulraab . Drôle de nom ! Evoque-t-il les “Raab” : esprits maléfiques ou plutôt “Rabou aleu” : animaux sauvages en wolof? L’étude toponymique de l’expression nous renverrait vers un lieu qui ne manquerait pas d’animaux sauvages, même si le bourg aujourd’hui densément peuplé, ne compte pas en apparence de bêtes sauvages. Cependant, ne nous y trompons pas! De nos jours, en plus de leur flore diverse, les Niayes jusqu’à Gandiol sa limite extrême au Nord, comptent une richesse faunique insoupçonnée. En effet, quelques civets, des chacals et un grand nombre d’écureuils et de chauve-souris y sont encore observés. Dans la cuvette de Pikine on trouve des reptiles comme les varans et une diversité de serpents. Et un peu partout dans les Niayes, un bon nombre d’oiseaux insectivores et granivores, mais aussi d’oiseaux pécheurs, d’autres rapaces et une grande diversité d’insectes.
Tout au long de ce parcours nous parlons des Niayes : cette bande littorale atlantique longue de près de 240 km et large d’environ 30 km, sans en situer la signification et l’origine. Etymologiquement, “Niaye” signifie en wolof : palmier à huile. L’origine des Niayes découle d’un déversement de la mer vers les terres “transgression marine” suivi du phénomène inverse : la “régression marine” expliquant les dépressions, les lacs et cuvettes, mais c’est l’importante phase éolienne sous un climat sec, qui a édifié les dunes des Niayes au quaternaire, vers le Paléolithique-moyen. Il est important de signaler qu’il y a plusieurs Niayes avec divers écosystèmes.
Notre passage à Tivaouane-Peulh, nous projette vers les projets gouvernementaux sur lesquels nous reviendrons à la conclusion de cet article.
Notre voyage se poursuit tout au long de l’océan atlantique sur la VDN. Les vagues qui déferlent sur la berge au sable fin d’un blanc scintillant, rafraichissent l’atmosphère. La bande de filaos qui défile, provient d’une première initiative de reboisement en 1925. La plantation sur une distance de 30 km en 1948 lui a succédé. Toutefois, avec les prédations foncières présentes et les dégradations récurrentes, des mesures de préservation de cette bande doivent être prises !
Dans les futures “villes nouvelles” des Niayes, devant accueillir dans les années à venir, plus de 70 000 nouveaux habitants, des investissements colossaux dans le tourisme haut de gamme, l’agro-industrie et les services sont prévus. La valorisation de la biodiversité des Niayes, l’exploitation de ses diverses ressources minières et énergétiques, ajoutées au développement du potentiel agro-industriel et l’extension du tourisme, sont des actions susceptibles de faire de cette zone une composante essentielle du dispositif de développement du Sénégal. Car nous constatons déjà que tous les grands bourgs des Niayes: Diogo, Notto, Lompoul, Mboro, Kayar en plus d’être de grands centres de productions maraichères sont aussi des ports de pêche d’envergure nationale. Elles logent également des industries extractives. Tous ces atouts donc, ajoutés aux futurs projets et leurs entrants, comme le transport rapide, l’agriculture, l’élevage, la pêche et bientôt des produits pétroliers, sont très prometteurs pour les Niayes en particulier et pour notre pays en général.
Le développement rapide des Niayes est d’autant plus possible que déjà en 1960 , l’ouvrage de géologie “études sénégalaises” de F. Brigaud où j’ai tiré l’essentiel des informations sur la géologie des Niayes, dévoile que notre pays possède du “superphosphate” et non pas du simple phosphate, avec des teneurs tricalciques supérieures à la moyenne mondiale. Ce document a aussi révélé que déjà en 1959, la production d’ilménite était de 29.884 tonnes et celle du zircon de 8.669.800 tonnes. Notez bien c’est ce qui est écrit. Il reste donc à installer une synergie cohérente entre développement industriel et développement social qui tienne compte de la spécificité des Niayes. De toute évidence, les Niayes avec leur sable siliceux pour l’industrie du verre, et leurs énormes gisements de tourbes dont on parle peu, continueront d’attirer non seulement les industries, mais aussi les populations.
En effet, l’alizé maritime qui chasse l’harmattan, permettant ainsi au courant froid des Canaries, d’assurer une fraîcheur quasi permanente tout au long de l’année, favorise à coup sûr l’extension démographique des villes aussi bien en direction de la frange côtière, que de l’extérieur et de l’intérieur de l’espace naturel des Niayes. Mais les difficultés auxquelles nos agglomérations actuelles sont confrontées exigent qu’à l’ambition de tous ces projets répondent avant tout, la nécessité d’un aménagement rationnel du territoire adapté aux besoins des populations. Il faudrait aussi des mesures de protection sérieuses des Niayes, qui sont confrontés à la salinisation des terres et de la nappe phréatique et à l’érosion côtière et éolienne entraînant la perte des terres arables. Le Programme d’Actions pour la Sauvegarde et le Développement Urbain des Niayes et zones vertes de Dakar (PAS DUNE) doit s’étendre sur l’ensemble de la zone.
En définitive, ce long parcours sur les Niayes en même tant qu’il permet de retracer à travers la géologie et l’écologie, la genèse des paysages africains et leur évolution, montre également le rapport que les populations des localités entretiennent avec ces paysages au fil de leur propre histoire. Dès lors Les Niayes deviennent un patrimoine multidimensionnel national imprescriptible et inaliénable de notre pays. Mais, l’exploitation des ressources et les projets de développement doivent bénéficier en premier lieu aux populations des Niayes.
Pour conclure sur notre trajet Saint-Louis /Dakar, la voie goudronnée qui m’a permis de rallier les deux capitales Régionales, en traversant de grands bourgs du littoral comme Lompoul, Mboro, Kayar, Bayakh jusqu’qu’à Gorom 2 situé dans la Région de Dakar, n’est pas “l’Autoroute Côtière” proprement dite. Tout paraît vraisemblablement être question d’appellation. La section 3 ou VDN 3 : Golf- Guediawaye- Tivaouane-Peulh point final de mon périple, s’inscrit dans le cadre de la politique de décongestion des pénétrantes de la ville de Dakar. Elle mérite d’être dénommée “voie côtière” puisque de Diamalaye, elle longe l’océan atlantique jusqu’à Keur Massar ou Tivaouane-Peulh. Par contre, la voie qui m’a mené de Saint-louis à la VDN 3, n’est que le résultat d’un ensemble de petites routes reliées entre elles jusqu’à Dakar.
En réalité, la RN 2 est constellée de grandes villes régionales situées à l’intérieur des terres, ces dernières sont rattachées aux grands bourgs côtiers par l’intermédiaire de routes internes se dirigeant vers la côte atlantique. Nous avons ainsi : Sébikotane rattaché au Lac Rose; Pout attaché à Kayar; Tivaouane relié à Notto et Mboro; Mekhé ferré à Diogo; Kébémer qui dessert Lompoul et enfin Louga qui maille Léona. Tous ces embranchements s’orientent sur la façade maritime atlantique.
Le génie des autorités c’est d’avoir assuré la liaison continue de ces voies jadis discontinues. Ce sont véritablement la réfection de certaines voies, mais surtout la construction du magnifique tronçon Gandiol/Lompoul -qui a été décisive dans la liaison finale Saint-louis /Dakar.
L’Autoroute Côtière Dakar/Saint-Louis n’existe pas encore. Elle est en projet. Les travaux devaient avoir commencé en 2019. Sa future dénomination serait “A3, Autoroute de la Côtière” avec une première portion : Tivaouane Peulh / Lompoul d’une longueur de 114 km et la dernière portion : Lompoul /Saint-Louis distante de 81 km. Cette future voie sera le prolongement de la route Eur-Africaine: Madrid-Tanger-Nouakchott-Dakar. La future autoroute sera en quelque sorte, la section Saint-louis/ Dakar. Et ensuite, de la capitale sénégalaise, entre en jeu le projet de Corridor Côtier de l’Afrique de l’Ouest : Conakry-Abidjan-Lagos.
Pour revenir sur notre trajet, si nous considérons que notre destination est la région de Dakar et non notre propre domicile, nous pouvons arrêter notre horloge et dire: qu’ayant quitté Saint-louis à 7h30 et sommes arrivés à la Région de Dakar à environ 10h 39. Le trajet Saint-Louis/ Dakar par la voie interconnectée est donc de 3h 09 minutes. Dans certains sites spécialisés, “Sénégal Black Rainbow” par exemple, des routiers aventuriers parlent de 4 h. Pour l’instant, aucun y compris moi-même, ne semble en mesure de confirmer un kilométrage ou de situer la distance exacte !
Afin d’éviter le calvaire des dos d’âne et des engorgements, certains internautes proposent de “rejoindre depuis Bayakh la RN2” ; D’autres suggèrent “au km 50, de prendre les péages puis, de foncer directement sur Dakar” : D’aucuns : “depuis Mboro, de bifurquer vers Tivaouane puis passer par Thiès pour joindre la capitale sénégalaise”.
Ceux qui ont fait l’expérience de cette voie confirment la beauté des paysages, mais déplorent la dangerosité des multitudes dos-d’âne anarchiquement installés. Aussi, ils préviennent des “successions de virages, mais surtout avertissent “de la tentation de la grande vitesse sur les grandes lignes droites”. Si l’insuffisante de la signalétique est évoquée, cependant la sécurité relative sur cette route est confirmée par tous. Afin de la préserver des accidents on va jusqu’à proposer de “Discriminer la circulation”, en retenant “les gros camions et bus de transport sur la RN2” et d’orienter uniquement “les particuliers” sur cette route, ceci dans l’objectif de diminuer “la pression routière sur la RN2”. “Comme ça personne ne touche personne”.
Pour ma part, soutenant l’ensemble des propositions, je dis un grand Bravo aux autorités pour cette voie routière et vivement : l’A3, Autoroute de la Côtière !
Papa Samba TOURE, Travailleur social, Promoteur touristique et Entrepreneur agricole
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