LETTRE D’UNE VICTIME DU DICTATEUR
«A Madame Fatimé Raymonne Habré : Si votre mari est malade, j’en suis désolée, car personne ne mérite de souffrir. Mais permettez-moi tout de même de vous rappeler que la raison première pour laquelle Hissène Habré est aujourd’hui en prison est qu’il a fait souffrir des dizaines de milliers de personnes au Tchad.
Comme j’en ai témoigné au procès devant les Chambres africaines j’ai été arrêtée en janvier 1985 par sa police politique, la DDS, alors que j’étais enceinte de quatre mois. Pendant mon récit, votre mari n’a même pas daigné me regarder ni répondre à mes questionnements.
A mon arrestation, j’ai d’abord été conduite dans le bureau la DDS. Tous les jours pendant la première semaine, les agents de votre mari ont mis des fils en métal sur mes seins et mes bras pour m’électrocuter. Quatre mois après, on m’a transférée à la prison appelée les « Locaux », la plus grande des nombreuses prisons secrètes qui formaient un véritable archipel de la mort. Les tortures à l’électricité ont arrêté, mais elles ont été remplacées par des viols dans ce nouvel enfer. Tous les soirs, les agents faisaient sortir les prisonnières pour les violer.
J’ai aussi dû accoucher de ma fille en détention. Elle est née sur un sol en ciment crasseux, entourée d’insectes et d’asticots. Il n’y avait aucun docteur ni infirmière dans la prison pour m’aider à la mettre au monde. Une autre prisonnière, Rose Lokissim, m’a aidée à accoucher. Quelques mois plus tard, Rose a été emmenée hors de cellule et exécutée car la DDS avait découvert qu’elle faisait sortir clandestinement des petits papiers avec les noms des prisonniers torturés et exécutés pour informer leurs familles à l’extérieur.
Ma fille Ronel Annie, qui a maintenant 23 ans, porte d’ailleurs toujours les séquelles de la malnutrition subie la première année sa vie innocente.
Dans les geôles de votre mari, j’ai été témoin du traitement inhumain de mes codétenus : les hommes étaient torturés et tués, et les femmes battues, violées et exécutées. Leurs cris hantent encore mes nuits. Soyez-en sûre, nous aurions aimé des conditions de détention dignes, comme celles de votre mari. Vous dites que votre mari est tombé dans la douche. Nous, en prison, nous rêvions de pouvoir prendre une douche.
Nous aurions aussi aimé bénéficier d’un procès équitable comme l’a eu votre mari quand les juges sénégalais et africains l’ont condamné à perpétuité. Et il lui a été ordonné en 2017 de payer plus de 82 milliards de francs CFA en dommages et intérêts à 7 396 victimes, dont moi-même. Selon les juges, je devrais recevoir 20 millions de francs CFA, pour l’arrestation, la détention et les violences sexuelles que j’ai subies. C’est très peu pour une vie détruite, mais pour une femme pauvre et en mauvaise santé, cela changerait beaucoup de choses. Mais, à ce jour, nous n’avons toujours pas reçu le moindre centime.
J’ai de l’hypertension artérielle et des maux de reins. Si j’avais reçu l’argent qui m’est dû, j’aurais pu enfin me rendre chez un médecin et acheter les médicaments pour soulager mes douleurs. Au lieu de cela, je croupis comme mes sœurs et mes frères dans la misère, souffrant toujours de traumatismes physiques et psychologiques.
Depuis six mois, nous manifestons dans les rues de N’Djaména tous les jours pour réclamer cet argent que Hissène Habré nous doit, mais il semble que votre mari n’a pas entendu ces appels désespérés.
Il parait que l’argent de Hissène Habré, celui qu’il a volé au peuple tchadien avant de s’enfuir et qu’il a apporté avec lui au Sénégal, celui qu’il utilise pour acheter des propriétés et des soutiens en sa faveur, a été placée aux noms de ses femmes et de sa famille pour le mettre à l’abri de la justice et de ses victimes. Où est passé tout cet argent que l’ancien premier ministre sénégalais Abdoul Mbaye a confirmé avoir recueilli dans sa banque après votre arrivée à Dakar ? Où est passé cet argent qui doit constituer pour nous, après 25 ans de lutte pour la justice, la base de notre indemnisation ?
Dans le jugement, la Chambre africaine a noté qu’au cours du procès, votre mari « n’a montré aucune compassion vis-à-vis des victimes, ni exprimé de regrets pour les massacres et les viols qui ont été commis ». Et nous n’attendons pas de compassion de votre part non plus.
Mais n’avez-vous pas honte Madame Habré de demander la libération de votre mari alors que vous continuez de cacher l’argent qu‘il nous doit ? »
Ginette Ngarbaye,
Secrétaire de l’Association des Victimes des Crimes du Régime de Hissène Habré
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