Dialogue politique ?
Le pays est entré dans des difficultés politiques quand les règles du jeu ont changé sur le terrain des élections. Aujourd’hui, l’exigence majeure est de revenir très clairement à un nouveau consensus.
Au sortir du scrutin présidentiel du 24 février 2019, l’opinion publique a pris acte de la pos- ture des acteurs politiques, pouvoir et opposition. Tandis que ceux du pouvoir se félicitent des résultats issus, selon eux, d’une élection transparente et honnête, ceux de l’opposition, dont je suis, les rejettent au motif qu’ils ne reflètent pas l’expression du suffrage des Sénégalais. Toutefois, alors qu’elle se considère comme spoliée de sa victoire et était en droit de contester les résultats dans la rue, advienne que pourra, l’opposition, à l’unanimité de ses candidats, a opté pour la paix en dépit de multiples provocations.
Cette attitude a été largement saluée notamment par cette haute instance de légitimation qu’est le Khalif général des mourides qui l’a caractérisée de grande victoire. Les très larges franges du peuple qui ont rongé leurs freins pendant de longues années, attendant sagement l’occasion, comme en 2012, de se choisir un (e) Président (e) de la République dans la transparence et la sincérité, et qui pouvaient naturellement être très frustrées, se sont globalement satisfaites du climat de calme qui caractérise le contexte post-électoral. Mais la question que tout le monde se pose est celle-ci : Et après ? On tourne la page des élections et chacun vaque à ses occupations jusqu’à la prochaine élection et c’est fini ? Le principal acteur devant répondre à cette question est le Président de la République. Il a annoncé son intention d’ouvrir un dialogue après son investiture par le Conseil constitutionnel. Que faut-il en penser ?
Il me semble qu’après la décision prise par l’opposition de ne pas engager la confrontation, le pouvoir se trouvait ipso facto interpellé. L’opinion publique et de nombreux milieux attendaient de lui une réaction à la hauteur de cette posture patriotique de sagesse et de retenue manifestée par l’opposition. Est-ce là la raison de l’annonce par le Président déclaré élu, d’un dialogue ? Ou est-ce un facteur parmi d’autres ? Laissons ces aspects aux politologues et autres observateurs, du moins pour l’instant. La question posée et à résoudre aujourd’hui est plutôt celle de savoir s’il faut prendre part, le cas échéant, au dialogue annoncé ou pas. Selon un célèbre dicton, un problème bien posé est à moitié résolu. Répondre à cette question commence donc par bien poser le problème en écartant certains a priori. Tout d’abord refuser ou accepter un dialogue ne relève pas de raison de principe mais de question d’opportunité. S’il s’agissait de principe, Nelson Mandela ne se serait jamais assis avec Pieter Botha.
L’un a fait 27 années de prison sous un régime personnifié par le second. Mandela, icône de la lutte africaine et planétaire contre l’apartheid recherchait, à partir de cette position, l’éradication du système après des décennies de résistance populaire. Plus près de nous, le Président Abdou Diouf et Maître Abdoulaye Wade ont accepté de s’asseoir et de dialoguer après que le premier a envoyé en prison le second, dès la fermeture des bureaux de vote en février 1988, avant même le décompte des voix. L’avènement au Sénégal de règles consensuelles de dévolution démocratique et pacifique du pouvoir en vigueur pendant un quart de siècle, provient précisément de ces événements de 1988. Cela nous a permis d’éloigner notre pays du spectre de la guerre civile résultant d’élections non fiables.
D’autres exemples pullulent dans le monde qui illustrent cette vérité selon laquelle accepter ou refuser de discuter avec un adversaire ou un ennemi relève d’une question d’opportunité et non de principe. L’opportunité renvoie aux éléments du contexte politique, économique, social, aux objectifs recherchés et aux perspectives qui s’offrent pour les atteindre. Lorsque l’analyse du contexte montre que s’asseoir avec l’autre pour discuter n’apporte rien quant aux objectifs, alors il n’y a pas opportunité. Sous ce rapport, l’analyse du contexte au lendemain des législatives de 2017, montrait nettement que l’objectif du pouvoir n’était pas de retrouver un consensus. Ce fameux dialogue, qui a d’ailleurs fini par être boycotté même par la frange qui avait décidé d’y prendre part, n‘était qu’une modalité dans le processus global de chamboulement des règles de 1992.
La preuve en est que le principal résultat déclaré issu de cette concertation, à savoir le parrainage, n’a été accepté par aucun des partis d’opposition qui y avaient pris part, à fortiori ceux qui l’avait rejetée. Il était donc juste en 2017 de s’abstenir de prendre part à ce qui n’était en son temps qu’un montage. Le même problème se pose aujourd’hui. Faut-il rejeter l’idée d’un dialogue avec le pouvoir ? Il faut, me semble-t-il, appliquer la même méthode qu’en 2017, c’est-à-dire en évaluer l’opportunité sur la base du nouveau contexte et de notre objectif qui est de ramener le pays sur des règles consensuelles de dévolution démocratique et pacifique du pouvoir. Le régime en place ne peut pas, ou ne peut plus s’arc-bouter sur des règles non consensuelles pour organiser des élections. Tel est donc le nœud gordien qu’il faut trancher pour ouvrir de nouveau la voie à des élections crédibles. Tout refus ou tout atermoiement du pouvoir sur cette question capitale sera perçu tout naturellement par le peuple, seul juge, comme la preuve manifeste que l’appel au dialogue n’est pas sincère. Comment cependant éviter, le cas échéant, le piège de 2017 ? Il nous faut fixer trois repères :
• Premièrement : Les TDR (termes de références). Pour aller vite : Que nous faut-il faire pour retrouver des règles permettant d’avoir des élections sans contestations sérieuses ?
• Deuxièmement : Qui doit modérer les discussions ? L’opposition doit être partie-prenante dans le choix du ou des facilitateur (s) comme en 1991-92 avec le juge Kéba Mbaye et son équipe et, en 1997, avec le Professeur Diaïté et son équipe. Il est vrai, hélas, que ces illustres personnalités ne sont plus de ce monde (qu’Allah swt les accueille dans les jardins de fir- daws), mais le peuple Sénégalais compte d’éminents fils pouvant parfaitement faire l’objet d’un large consensus autour de leur personne pour leur honnêteté, leur courage, leur sens de l’entregent, en sus d’une bonne connaissance du personnel politique, pouvoir comme opposition.
• Troisièmement : La destinée des conclusions. Dans la plateforme du FRN, il est dit que le Président doit s’engager à appliquer et faire appliquer rigoureusement les conclusions consensuelles. Comme le fit le Président Diouf en son temps. «Je n’y changerai pas une virgule». Il avait respecté sa parole. Il me semble que ces indications peuvent servir de grille de lecture du niveau de lucidité politique de celui qui appelle au dialogue et de sa volonté de tourner la page de ces longues années de confrontations. Il demeure évident que, dans ce contexte, toute l’opinion nationale et internationale s’attend à voir Karim Wade et Khalifa Sall recouvrer leurs droits injustement spoliés. Ces deux cas ne devraient donc ni faire l’objet, ni être le prétexte du dialogue. Il s’agit plutôt d’une attente nationale et internationale, juridictionnelle et politique à satisfaire.
Concluons : le pays est entré dans des difficultés politiques quand les règles du jeu ont changé sur le terrain des élections. Je rappelle que de 1960 à 1993 jamais une élection ne s’est tenue dans les conditions optimales de transparence et de sincérité au Sénégal, mais les acteurs de l’époque ont lutté sans relâche, accumulant échecs et succès, jusqu’au consensus de 1992. Aujourd’hui, l’exigence majeure est de revenir très clairement à un nouveau consensus. Si cela n’est pas possible, il ne restera qu’à poursuivre et intensifier la lutte, comme l’avaient fait nos devanciers, jusqu’à ce que ce soit de nouveau possible. Donc dans ma compréhension, il ne peut être question d’entrer dans un quelconque gouvernement ou une quelconque compromission que ce soit, mais de faire bouger les lignes sur cette question vitale du système électoral.
Macky Sall a travaillé pendant 7 ans à «réduire l’opposition à sa plus simple expression», selon ses propres termes sans y parvenir, bien au contraire. De son côté, l’opposition n’a pas non plus réussi à le déloger pour les raisons que nous connaissons tous. Lorsqu’un pays en arrive à cette situation, le courage politique au vrai sens du terme consiste à mettre les égos de côté pour trouver les solutions idoines aux problèmes posés. Le peuple qui n’a pas compris l’opposition en 2017 lorsque celle-ci a rejeté l’appel au dialogue du pouvoir, serait satisfait d’un retour à la normale si cela advenait à l’issue de discussions.
Si par contre, il découvrait à la pratique, que les craintes de l’opposition étaient somme toute justifiées, alors il ferait indubitablement corps avec ses franges réellement démocratiques et patriotiques pour poursuivre le combat à la manière du peuple algérien jusqu’au retour à un consensus sur les règles du jeu. Cette position me semble en adéquation avec la posture post-électorale de sagesse et de retenue de l’opposition sénégalaise largement saluée et magnifiée dans et hors de nos frontières. Il reste que l’unité la plus large de celle-ci, dans le respect des différences, dans la défense ferme et résolue de sa plateforme, est le garant de son succès. Aucune échappée solitaire ne sera salutaire. Vaincre ensemble ou périr séparément.
Mamadou Diop Decroix, député à l’Assemblée nationale, Secrétaire Général d’And-Jëf/Pads.
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