Tramadol, les ravages de la «cocaïne du pauvre»
En France, cet antidouleur est délivré sur ordonnance aux patients souffrant du dos, des articulations ou se remettant d’une opération. En pharmacie, le tramadol est dosé à 50 milligrammes. La plaquette de «missiles» de Pogbila annonce 200 milligrammes. Le comprimé fait effet. Les crampes s’estompent. L’homme écoute la pulsation du sang qui gonfle ses tempes et profite de «l’énergie» que lui apporte cet analgésique opioïde. «Avec ça, mon cœur bat plus, je marche comme je veux. Le médicament me conserve un peu, me donne du courage et j’oublie mes soucis. Je peux travailler et gagner de quoi vivre», explique un usager.
Tu regardes le sang couler et tu ne sens rien
Le tramadol est ce qui se vend le plus dans la sous-région ouest-africaine. Ses clients le mélangent dans leur café soluble avant de partir travailler. «Si tu prends ça, tu travailles bien, promet le “pharmacien” de rue. Tu n’as plus faim, tu t’en fous du soleil, il te faut seulement l’eau et les cigarettes jusqu’au soir. Même si tu t’es coupé, tu regardes le sang couler et tu ne sens rien ». Les boîtes représentent un homme en pleine course, un électrocardiogramme, des pommes, symboles de bonne santé… Il y a beaucoup de gens qui prennent le tramadol : ceux qui marchent au soleil pour vendre dans la rue, les maçons, les manœuvres, ceux qui font des briques ou creusent des trous, les paysans, même de vieilles personnes ! Tous en achètent pour travailler plus. Le produit ne fait pas perdre la tête, mais concède que le lendemain, «si tu n’en prends pas, tu vas avoir mal à la tête. Tu sens qu’il y a quelque chose qui manque dans ton corps, tu as mal aux muscles, aux articulations». Et les doses doivent régulièrement être augmentées, car le produit «ne travaille plus». L’ apparition de la cocaïne du pauvre remonterait à 2010 et depuis, «on a l’impression que progressivement, le nombre de consommateurs augmente». Il n’existe pas de statistiques officielles, mais aujourd’hui, c’est très répandu et beaucoup en consomment, à la campagne comme à la ville. D’où viennent ces antalgiques illicites ? Sur l’emballage, on peut lire que ce sont des produits qui sont fabriqués en Inde. Ils arrivent par des pays côtiers comme le Ghana et le Togo, en passant par les ports. Ensuite, ils remontent à bord de petits camions jusqu’à Ouagadougou en franchissant des frontières poreuses et sont distribues frauduleusement dans les pays de la sous-région.
Tout droit à la mort
Dans un compte rendu de réunion en 2014, l’Office des Nations unies contre la drogue (Unodc) s’inquiétait du «mésusage du tramadol qui a créé une situation de dépendance qui pourrait devenir un problème de santé publique dans les années à venir, particulièrement dans le Sahel. Le docteur Kapouné Karfo, psychiatre spécialiste des addictions et professeur à l’université de Ouagadougou, confirme : l’usage «très répandu» de ce «dérivé morphinique» au Burkina Faso, comme dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, est «un drame silencieux.» Le tramadol est largement consommé par ceux qui font «un travail de force. Ils pensent que c’est un médicament qui peut les aider à ne pas sentir la fatigue». Mais, le lendemain, «inévitablement, ils vont avoir mal aux muscles, des courbatures. Et donc, à un certain moment, ils prennent le tramadol pour échapper à cette douleur». Conséquence, certains «ont des problèmes de foie bloqué» et «les insuffisances rénales sont maintenant notre quotidien, alors que la prise en charge est catastrophique» dans le pays. Alors, ces travailleurs pauvres qui n’ont pas les moyens de se soigner vont «tout droit à la mort». Le médecin déplore des politiques essentiellement répressives, au détriment de la sensibilisation. Or «il est difficile de faire comprendre que le médicament n’est pas bon, car quand on le prend, immédiatement, la douleur disparaît».
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