ITALIE
La mafia se fait des millions sur le dos des migrants
Le camp de migrants Isola Capo Rizzuto était géré par la ‘Ndrangheta calabraise, l’une des “trois mafias les plus dangereuses au monde”. Le 15 mai dernier, les carabiniers ont mis sous les verrous 68 personnes liées au clan mafieux.
La mafia s’intéresse aux migrants. Mais que personne ne s’y trompe : ce n’est pas par bonté d’âme que l’organisation criminelle se penche sur le sort des demandeurs d’asile mais pour profiter de la manne financière que représente leur entrée massive sur le territoire italien (181.000 en 2016). “Le business, pas la misère de l’immigration”, résume Valerio Cari, jeune volontaire de l’association catholique Misericordia qui gère depuis 18 ans Isola Capo Rizzuto (en Calabre), le plus grand centre d’accueil d’Europe. Le jeune homme n’est, lui, pas impliqué dans le scandale des 1.000 hommes et femmes affamées qui étaient concentrés derrière les barbelés du camp.
Selon les enquêteurs, Misericordia, un réseau de coopératives gérant de nombreuses œuvres sociales à travers l’Italie, aurait laissé le contrôle de la fourniture des repas à des associations liées au clan Arena. Le 15 mai dernier, les carabiniers ont arrêté le principal responsable de la structure, Leonardo Sacco, membre du clan mafioso. Cet homme de 35 ans gérait les dizaines de millions d’euros versés chaque année par l’Etat italien au centre d’accueil.
“Opération Johnny”
Le clan Arena fait parti de ces clans calabrais qui ne se contentent plus du trafic de drogue mais sont devenus habiles à exploiter toutes les ressources légales. Leur méthode était simple : à Capo Rizzuto, ils économisaient sur la qualité des services rendus aux migrants. Exemple : ils ne nourrissaient que la moitié des présents. Sur 500 personnes, ils étaient 250 à bénéficier d’un repas. Et quel repas ! “Les restes que d’habitude on donne aux cochons”, s’exclame Nicola Gratteri, le magistrat de Catanzaro qui a supervisé l’opération.
Baptisé “Opération Johnny”, le coup de filet policier a déjà conduit sous les verrous 68 personnes, une bonne partie du clan Arena, pour association criminelle, extorsion et fraude. Mais pas seulement. Edoardo Scordio, le curé de l’église d’Isola Capo Rizzuto a, lui aussi, été arrêté sous les mêmes chefs d’accusation : les carabiniers ont trouvé à son domicile 200.000 euros qu’il avait perçus au titre d’une soi-disant “assistance spirituelle” offerte aux demandeurs d’asile. En dix ans, le prêtre aurait ainsi accumulé dans les 3 millions d’euros, en partie transférés en Suisse. Il a été aussitôt suspendu de ses fonctions par la conférence épiscopale. Vraisemblablement après l’intervention du pape François.
Mafia calabraise
L'”Opération Johnny” a mis au jour le détournement d’au moins 30 millions d’euros par le clan Arena. Un pactole lui ayant permis d’acquérir un joli patrimoine, aujourd’hui mis sous séquestre par les carabiniers : 46 appartements ; une résidence ; 4 villas ; 9 garages ; 6 magasins ; 15 entreprises agricoles ; 81 voitures et 6 embarcations… .
De cette enquête, qui a duré deux ans, on retiendra que la seule vraie grande mafia opérant aujourd’hui dans la Péninsule est la ‘Ndrangheta calabraise (du grec “ndrangatos”, qui veut dire “homme valeureux, homme courageux”) au détriment de la Cosa Nostra sicilienne qui a pratiquement disparu de l’horizon criminel. L’organisation mafieuse calabraise est désormais classée par le FBI parmi “les trois mafias les plus dangereuses au monde”.
La ‘Ndrangheta a manifestement su diversifier ses activités criminelles, ajoutant au trafic de drogue une implication plus importante dans toutes les strates de la société légale. Une présence lui permettant ainsi d’y exploiter systématiquement toutes les sources de profit.
Comme le disait déjà le juge Giovanni Falcone, assassiné il y a 25 ans, le 23 mai 1992, la mafia est passée des “illegitimate activities” aux “legitimate industries”. Avec un indéniable succès.
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