Afrique-France : Macron hérite des liaisons dangereuses
Pour Macron, qui hérite d’une guerre au Sahel, il sera ardu de renouveler la politique africaine de la France.
«Je veux écrire une nouvelle page de notre relation avec l’Afrique», avait déclaré Emmanuel Macron à Jeune Afrique fin avril. C’est devenu une coutume immuable de la Ve République : tout candidat à l’élection présidentielle se doit de proclamer sa volonté de renouveler la politique africaine et de rompre avec l’hydre de la «Françafrique», qui continue de polluer les relations entre Paris et ses anciennes colonies. Jusqu’à présent, les vœux pieux de ses prédécesseurs ont été suivis de «révisions déchirantes», qui ont surtout conduit au maintien du statu quo, au nom d’une stabilité à court terme. Pour Macron, le défi est d’autant plus complexe qu’il hérite d’une situation de guerre : celle menée au Sahel par les soldats français de la force Barkhane, lancée en 2014 dans le prolongement de l’opération Serval au Mali. C’est d’ailleurs dans ce pays que le Président doit se rendre d’ici la fin de la semaine (vendredi, selon le JDD), pour une visite aux soldats français engagés dans le cadre de Barkhane.
Insécurité
Et sur ce point, la messe est dite : Macron ne devrait pas remettre en cause cette opération militaire censée sécuriser une zone de 5 millions de km2. Pourtant, l’efficacité de la stratégie française dans la région est de plus en plus questionnée par les ONG et les observateurs : la Fédération internationale des droits de l’homme rappelait ainsi la semaine dernière que le Mali a atteint, en 2016, un «niveau d’insécurité sans précédent». Mais l’influence de Jean-Yves Le Drian, considéré dès le départ comme un «ralliement de poids» au camp Macron, devrait continuer à peser en faveur d’une priorité accordée à la lutte contre le terrorisme en Afrique. Au prix du maintien de liaisons dangereuses ? Véritable «ministre de l’Afrique» sous la présidence Hollande, Le Drian a notamment tissé, à la Défense, des liens étroits avec le président tchadien Idriss Déby qui accueille le QG de Barkhane à N’Djamena, capitale du pays. Reste que Déby, réélu lors d’un scrutin contesté en avril 2016, se trouve confronté à une fronde sociale multiforme qui provoque en retour une crispation du régime. Militaires mystérieusement assassinés lors du transfert d’une prison à une autre, arrestations d’activistes, maintenus au secret, torturés et finalement libérés la semaine dernière à l’issue d’un procès expéditif… «Le pouvoir ne fait même plus semblant de respecter l’Etat de droit», s’inquiète Laurent Duarte, du collectif «Tournons la page». «On peut comprendre la légitimité des logiques sécuritaires, mais on n’obtiendra jamais la stabilité en bafouant les droits de l’homme et la démocratie».
Ingérence
Au Tchad comme dans le reste du Sahel, et notamment au Niger où des manifestations étudiantes ont été violemment réprimées début avril, la présence des forces françaises est de plus en plus perçue comme une ingérence injustifiée, qui ne met pas réellement un terme à l’insécurité, voire comme un soutien à des régimes jugés illégitimes. Rompre avec certains pompiers pyromanes du continent ? La perspective a tout d’une utopie au regard des pratiques de la Ve République. Il faudra bien plus que la création d’un Conseil présidentiel pour l’Afrique, annoncé par le nouveau chef de l’Etat et qui serait ouvert à la société civile, pour écrire une nouvelle page des relations franco-africaines.
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