Méconnaissance ou simple oubli ?
L’islam en Afrique de l’Ouest
L’accord signé le 20 juin 2015 à Bamako entre le pouvoir malien et la rébellion touarègue marque non seulement la fin d’un conflit territorial débuté en janvier 2012 mais permet surtout d’isoler les groupes djihadistes qui se sont agglomérés au conflit. Nous pensions connaître le continent africain et particulièrement l’Afrique de l’Ouest, une zone que nous n’avions jamais réellement quittée malgré la décolonisation, un pré carré sur lequel nous avions gardé une influence économique mais surtout politique. Or la question de l’islam est demeurée singulièrement absente de notre vision du continent africain. L’avènement de l’islam en Afrique subsaharienne est la conséquence d’un processus long de plusieurs siècles qui ne saurait être considéré comme uniforme. Dans ce contexte, l’islam a su produire une unité linguistique par la connaissance, même parfois rudimentaire, de la langue arabe. Il a facilité la production d’un ensemble de règles et un code de conduite, favorisant le commerce et les relations inter-claniques. Hormis les contributions de certains spécialistes, les travaux sur le sujet demeurent bien rares. Trois facteurs expliquent cette insuffisance.
Tout d’abord, le temps des conquêtes coloniales a été celui de la vulgarisation d’une certaine construction sociologique dans l’étude de ces nouveaux peuples. À l’issue des conquêtes proprement dites, l’objectif des autorités militaires est la stabilité d’une région plusieurs fois grande comme la France. Les autorités coloniales se sont appuyées sur certaines confréries et sur leurs relais dans la population afin de créer les conditions d’une politique d’assimilation en leur ôtant toute velléité d’indépendance. Cette articulation entre politique et religion exercée par de réelles dynasties maraboutiques est encore très présente dans certains États. En témoigne l’importance de la confrérie mouride dans l’ascension de la famille Wade à la tête du Sénégal au début des années 2000. Ensuite la spécificité de l’islam confrérique tel qu’il s’est instauré sur le continent africain renvoie généralement à une pratique religieuse empreinte de syncrétisme et donc à une pratique cultuelle située en dehors de la rigueur prônée par certains courants. La présence de lieux de pèlerinage autres que ceux établis a grandement plaidé pour cela. Mais c’est surtout de la place de l’ésotérisme, ainsi que celle des idoles, que vient la fracture. Le début de la chahada le rappelle : « Il n’y a pas de Dieu sauf Dieu… » Cette lutte contre toute forme d’adjonction d’idoles au dogme monothéiste se retrouve à la base de l’idéologie des mouvements fondamentalistes. L’islam confrérique africain représenterait donc une forme hybride de l’islam authentique qui, dès lors, n’intéresse ni les penseurs du monde musulman, ni les autres. Enfin, l’étude de l’islam en Afrique de l’Ouest n’a pas su trouver sa place propre car elle s’est longtemps située à la croisée de différents champs académiques : sociologie, orientalisme, ethnologie. Elle est restée longtemps l’apanage d’une poignée de spécialistes, formés à l’étude de l’islam dans d’autres régions musulmanes, qui ont essayé de calquer un modèle spécifique sur une réalité différente. Une conception sans doute largement partagée dès le VIIIe siècle par les autorités religieuses du califat abbasside alors même que cette mise à l’écart des croyants noirs n’est à aucun moment justifiée ni par le Coran ni même par les hadiths. Elle trouve son origine dans le mythe de la soumission du fils de Noé, Cham : ce dernier est condamné et mis en esclavage par son père, pour lui avoir manqué de respect. On ne trouve pas trace de ce mythe dans les textes fondateurs de l’islam mais dans celui de la Genèse. L’historiographie a ajouté à cette condamnation la couleur noire de la peau de Cham, justifiant alors la mise en esclavage des populations noires. Si, par la suite, plusieurs auteurs arabes chercheront à revenir sur les origines de cette justification, force est de constater que pendant plusieurs siècles, la mise en esclavage des populations noires s’est appuyée sur ce mythe. À tout prendre, la considération des croyants africains dans le monde arabo-musulman évolue positivement aujourd’hui. La direction de la prière confiée au Cheikh Adil Al Kalbani en 2009 à la Grande Mosquée de La Mecque a été un symbole fort envoyé aux croyants d’origine africaine. De notre côté, nous n’avons pas su intégrer ces changements et miser sur l’interculturalité dans le cadre de nos relations avec le continent africain. Si, sur le plan économique, l’Afrique de l’Ouest est un puissant relais de croissance pour une Europe qui en a besoin, au niveau politique et sécuritaire, l’intégration du fait religieux dans notre matrice de réflexion nous permettrait de prendre en compte de nouveaux interlocuteurs pouvant agir sur la question des réfugiés, mais également sur la sécurité du Sahel.
- Christophe LESUR, diplômé de l’Institut d’études politiques de Strasbourg, master 2 recherche en islamologie à l’université de Strasbourg.
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