Doudou Ka : « Le Sénégal s’apprête à vivre une période charnière »

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Le ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération, considère le bilan économique du Sénégal comme positif, mais reconnaît qu’il reste encore beaucoup à accomplir.

Doudou Ka, un allié de longue date du président Macky Sall, a intégré les hautes sphères de l’administration sénégalaise depuis bientôt quinze ans. Sa sélection précoce, survenue peu après l’obtention de son diplôme de l’École des ponts et chaussées à Paris, témoignait déjà de la confiance que lui portait le chef de l’État.

Au fil des années, l’engagement constant de Doudou Ka lui a valu une progression méthodique. Après avoir dirigé l’Aéroport international Blaise-Diagne (AIBD), il a été appelé à servir dans le gouvernement d’Amadou Ba, où il a successivement occupé les fonctions de ministre des Transports, puis de ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération.

Malgré un dernier mandat de courte durée, s’étendant sur moins de cinq mois en raison de l’élection présidentielle à venir, Doudou Ka a rapidement compris l’ampleur et les enjeux de cette position stratégique. Une expérience qui semble avoir aiguisé ses ambitions politiques. Pour Jeune Afrique, il dresse le bilan de ces dernières années et se projette vers l’avenir.

Jeune Afrique : Alors que le mandat du président Macky Sall touche à sa fin, quelles ont été selon vous les avancées les plus notables ?

Doudou Ka : Au cours des dix dernières années, l’espérance de vie au Sénégal a remarquablement augmenté, passant de 64 à 69 ans. Cette progression significative reflète des améliorations substantielles dans les conditions de vie. Parallèlement, le taux de pauvreté en milieu rural a chuté de 5,6 %, marquant une avancée notable dans la lutte contre la pauvreté.

Sur le front des infrastructures, les progrès ont été particulièrement impressionnants. Lorsque j’ai rejoint, en 2012, en tant que coordonnateur, le pôle des grands projets de la présidence de la République, le Sénégal dépendait fortement de bacs et de ferries pour la liaison entre différentes régions. Nous avions alors lancé le programme ambitieux « zéro bac », visant à remplacer ces liaisons par des ponts permanents. Aujourd’hui, 19 des 20 ponts prévus ont été achevés, et le dernier est en cours de réalisation, avec un engagement présidentiel pour sa finalisation dans les trois prochaines années.

En matière d’infrastructures hospitalières, nous avons également réalisé des avancées majeures. Le nombre d’hôpitaux de niveau international est passé de trois à huit, améliorant considérablement l’accès aux soins de santé de qualité. Ces progrès, tant en matière d’infrastructures que de santé, témoignent d’une évolution positive dans de nombreux domaines.

Et en tant que ministre sortant des transports, quel projet emblématique retenez-vous ?

Le Train express régional (TER) représente le projet phare en termes d’infrastructures au Sénégal. Ce projet, qui relie la capitale à la banlieue, la ville nouvelle de Diamniadio et le nouvel aéroport, est emblématique non seulement par son envergure mais aussi par son impact significatif sur la vie quotidienne des Sénégalais. Il transforme radicalement la mobilité urbaine, comme l’illustrent les nombreux témoignages des usagers qui, grâce au TER, ont vu leur temps de trajet quotidien considérablement réduit, améliorant ainsi leur qualité de vie.

En parallèle, le nouveau port de Ndayane, en cours de construction, est destiné à devenir l’un des plus grands ports d’Afrique, renforçant ainsi la position du Sénégal sur l’échiquier international.

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Ces projets suscitent des avis partagés, notamment en raison de l’implication de groupes français tels que Thalès dans le TER, renforçant un sentiment antifrançais au Sénégal. Cette situation interroge sur les répercussions pour les entreprises internationales dans le pays. Quelle est l’ampleur réelle de ce sentiment et comment y réagit le gouvernement sénégalais ?

Le sentiment antifrançais au Sénégal, en partie alimenté par un discours populiste de l’opposition, a résonné auprès de la jeunesse, particulièrement à cause de problèmes comme le chômage. Toutefois, cette perception ne reflète pas une tendance générale. Sous la direction du président Macky Sall, le gouvernement a encouragé la collaboration entre les entreprises sénégalaises et étrangères, notamment dans le secteur pétrolier. Une façon d’accroître la souveraineté économique tout en reconnaissant les contraintes de capital et de compétences techniques.

Dans cette optique, l’approche du Sénégal consiste à équilibrer l’ouverture économique avec des entreprises de diverses nationalités, et à promouvoir activement la participation des acteurs locaux. En tant qu’ingénieur, je suis conscient que l’acquisition d’une productivité et d’un savoir-faire comparables à ceux des grandes entreprises internationales est un processus progressif. Des mesures législatives ont été mises en place pour soutenir cette évolution. La présence marquée des entreprises étrangères ne signifie pas une domination de l’économie, mais reflète notre quête de compétences et de technologies essentielles pour le bien-être de la population, conformément aux objectifs de notre politique gouvernementale.

Alors que l’année 2023 touche à sa fin, quel premier bilan dressez-vous de l’action de votre ministère ?

Les réalisations économiques récentes, bien que confrontées à des défis externes notables, témoignent d’une progression significative. Par exemple, le PIB par habitant a augmenté, passant de 1 200 USD à 1 700 USD. Bien que l’objectif initial fût de 2 000 USD pour 2023, cet accroissement est notable, surtout compte tenu des crises exogènes telles que le Covid-19 et la guerre en Ukraine, qui ont affecté la croissance économique.

En termes de croissance annuelle moyenne, nous avions prévu un taux entre 6 et 7 %. Actuellement, nous enregistrons un taux de 5,5 %. Cela représente une baisse d’un point par rapport à nos prévisions, mais reste encourageant comparativement à la décennie précédente, où la croissance moyenne était de 3,5 %. Ainsi, nous avons connu une augmentation significative de la croissance moyenne, passant de 3,5 % à 5,5 % au cours des dix dernières années. Concernant les infrastructures, le Sénégal a également réalisé des avancées notables, à l’exemple de l’extension significative de son réseau autoroutier de 35 kilomètres.

Quelle stratégie économique serait la plus appropriée pour le Sénégal en 2024 ?

L’année 2024 sera une période charnière, marquée par l’élection présidentielle au premier trimestre et le début de l’exploitation des ressources pétrolières et gazières au second semestre.

Nos objectifs stratégiques sont multiples, mais permettez-moi d’en souligner quelques-uns essentiels. Au premier rang, nous visons à stimuler une croissance économique soutenue, génératrice d’emplois de qualité, en renforçant l’engagement du secteur privé. Cette démarche est cruciale pour relever le défi de la souveraineté économique. Parallèlement, nous accordons une importance capitale à l’intégration professionnelle des jeunes et à la lutte contre la hausse du coût de la vie, des priorités centrales pour le gouvernement.

Un autre point crucial est la finalisation des projets-clés initiés par le chef de l’État, ainsi que la mise en œuvre du Troisième Plan d’Actions Prioritaires (PAP3), qui coïncide avec une étape majeure : l’entrée du Sénégal dans une ère nouvelle avec l’exploitation de ses ressources pétrolières et gazières. Ce tournant stratégique marque notre progression vers un développement hors de la catégorie des Pays les Moins Avancés (PMA).

Dans vos déclarations officielles, vous misez surtout sur la jeunesse. Pour quelle raison ?

Les résultats du tout dernier recensement de la population sénégalaise ont montré l’importance de sa frange la plus jeune. La moitié de la population est âgée de moins de 19 ans, alors que 75 % de citoyens ont moins de 35 ans. C’est donc vers cette jeunesse qu’il faut se tourner, exalter son envie d’entreprendre dans un Sénégal connu pour être une terre d’entreprises. Ainsi, la vision du « Sénégal du Futur » dont le président de la République a posé les fondations, doit continuer son chemin. Mon département s’engage fermement à soutenir toutes les initiatives visant à propulser notre économie et à améliorer le bien-être de nos 18 millions de concitoyens. Face à ce défi colossal en ces temps de crise, notre action se présente non seulement comme une nécessité, mais aussi comme une réponse stratégique à des enjeux démographiques et sociétaux profonds. Concrètement, le budget de l’éducation et de la formation a plus que doublé en dix ans, passant de 518 milliards en 2014 à 1200 milliards en 2023 et celui de la santé est passé de 127 milliards à 272 milliards.

Quels sont les principaux défis auxquels le pays pourrait être confronté à l’avenir ?

La préservation et le renforcement de la stabilité du pays dans le contexte d’élection présidentielle et d’exploitation des hydrocarbures constituent les premiers défis du Sénégal en 2024.
Toutefois, pour les cinq prochaines années, les défis identifiés dans le PAP3 pour accélérer l’émergence économique du pays sont la construction d’une économie compétitive, inclusive et résiliente, avec une accélération de l’industrialisation et une optimisation des systèmes, ainsi que le développement d’un capital humain de qualité et la capture du dividende démographique. Mais aussi le renforcement de la résilience des communautés face aux risques de catastrophes naturelles, ainsi que la consolidation de la bonne gouvernance, et la promotion d’une administration publique moderne et performante à travers la digitalisation des services et le financement adéquat et innovant de l’économie.

La stimulation de l’entrepreneuriat privé, la facilitation de l’accès au crédit pour les PME-PMI et l’industrialisation, sont des éléments indispensables pour la consolidation de notre croissance. Nous y travaillons.

Depuis 2012, sous l’impulsion du président de la République, le Sénégal mise sur son attractivité en garantissant aux investisseurs, un environnement propice à leur installation. Notamment à travers la loi 2021-2023 promulguée le 2 mars 2021 relative aux contrats de partenariat public-privé, qui a a été suivie par la mise en place d’une unité d’appui aux partenaires mixtes.

Quel modèle de développement économique serait idéal pour l’Afrique dans le contexte actuel ?

En adoptant une stratégie continentale d’industrialisation basée sur les avantages compétitifs spécifiques de chaque pays ou groupe de pays, l’Afrique peut transformer ses défis en opportunités. Cette stratégie devrait s’appuyer sur le développement des énergies renouvelables, telles que le solaire, l’éolien et l’hydraulique, l’expansion des infrastructures transfrontalières, et un investissement massif dans l’éducation, la formation professionnelle, et la recherche-développement. De plus, la Zone de libre-échange continentale africaine, en dynamisant le commerce intra-africain et en stimulant la croissance économique et la création d’emplois, jouera un rôle crucial. Avec un marché de plus d’un milliard de consommateurs, elle se présente comme le plus grand marché commun du monde. Son opérationnalisation, notamment par le démantèlement des barrières tarifaires, devrait agir comme un puissant catalyseur de l’industrialisation du continent, optimisant ainsi le dividende démographique offert par sa jeunesse.

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