L’Arabie saoudite accusée de la mort de centaines d’Éthiopiens à la frontière avec le Yémen

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Des gardes-frontières saoudiens sont responsables de la mort de plusieurs centaines de migrants éthiopiens qui tentaient de franchir la frontière entre le Yémen et l’Arabie saoudite entre mars 2022 et juin 2023, dénonce Human Rights Watch dans un nouveau rapport publié lundi. Des exactions commises alors que Riyad met en œuvre depuis cinq ans une vaste politique anti-migrants.

Plusieurs individus blessés s’entassent au dos d’un camion. À côté d’eux, un corps gît au sol. Ces images, diffusées sur les réseaux sociaux, ont été tournées par des migrants éthiopiens le long de la frontière entre le Yémen et l’Arabie saoudite. Elles illustrent les exactions commises par les gardes-frontières saoudiens à leur encontre, dénonce Human Rights Watch, lundi 21 août. “Des gardes-frontières saoudiens ont tué des centaines, voire des milliers de migrants et de demandeurs d’asile éthiopiens qui tentaient de franchir la frontière entre le Yémen et l’Arabie saoudite entre mars 2022 et juin 2023”, écrit l’ONG, en ouverture d’un nouveau rapport.

Pendant six mois, entre janvier et juin 2023, elle a interrogé par téléphone 42 Éthiopiens qui ont tenté de traverser cette frontière ou des proches de migrants tués, analysé de multiples photos et vidéos postées sur les réseaux sociaux et passé au peigne fin des centaines de kilomètres carrés d’images satellites. “Nous avons des preuves que les gardes-frontières saoudiens utilisent des armes explosives et tirent à bout portant sur des migrants, y compris des femmes et des enfants”, assure Nadia Hardman, chercheuse sur les migrations à la tête de cette enquête.

“J’ai vu 30 personnes être exécutées d’un coup”

“Nous avons essuyé des tirs répétés. J’ai vu des gens être tués d’une manière que je n’avais jamais imaginée. J’ai vu 30 personnes être exécutées d’un coup”, témoigne ainsi auprès de Human Rights Watch Hamdiya, 14 ans. “Je me suis cachée sous un rocher et j’ai dormi là. Je sentais que des gens dormaient autour de moi. Ce n’est qu’après que je me suis rendue compte que c’était des cadavres. Je me suis réveillée et j’étais seule.”

Comme l’adolescente, de nombreux témoins assurent avoir été victimes de tirs de mortiers ou d’autres explosifs lancés par des gardes-frontières saoudiens lors de leur tentative de rejoindre l’Arabie saoudite, s’appuyant sur la description précise de l’uniforme de leur assaillant pour prouver leur identité.

“Un témoin a expliqué que dans son groupe de 170 personnes, 90 personnes avaient été tuées. Un chiffre qu’il a pu avancer parce que les survivants sont retournés ramasser les cadavres”, poursuit le rapport. “Sur 150 personnes, seules sept s’en sont sorties. Il y avait des restes de corps humains partout, éparpillés”, relate un autre. Toujours selon le document, une autre personne s’est rendue à la frontière saoudienne pour récupérer le corps d’une fille de son village. “Son corps était empilé sur une vingtaine d’autres”, témoigne-t-elle. “C’est impossible de compter les cadavres. Cela dépasse l’imagination.” Des témoignages corroborés par la découverte de plusieurs sites funéraires sur les images satellites consultées par l’ONG, note Nadia Hardman.

Si le nombre exact de migrants tués lors de la traversée de la frontière est impossible à déterminer, l’ONG fait état de plusieurs centaines, voire de milliers de morts ces derniers mois. Parmi les survivants, nombreux sont ceux à avoir été gravement blessés et à se retrouver bloqués dans des camps de fortune au Yémen sans accès à des soins médicaux ou à des ressources pour partir.

Politique anti-migrants

Chaque année, des dizaines de milliers d’individus tentent de fuir la Corne de l’Afrique en direction des pays du Golfe. Poussés par les difficultés économiques, les violations des droits humains et les combats qui sévissent dans la région, ils s’élancent sur la “route de l’Est”, l’une des plus importantes routes migratoires d’Afrique de l’Est – et l’une des plus mortelles.

Après une traversée de la mer Rouge ou du golfe d’Aden, fatale pour beaucoup, ces migrants se retrouvent au Yémen, où l’Arabie Saoudite dirige depuis 2015 une coalition militaire contre le groupe armé houthi. Dans ce pays en guerre , lui-même confronté à une crise humanitaire, Human Rights Watch dénonce depuis plusieurs années de nombreux abus envers ces migrants en transit : trafics, détentions abusives, enlèvements, viols, assassinats…

Et depuis plusieurs années, leur situation ne s’améliore pas de l’autre côté de la frontière. Comme les autres États du Golfe, l’Arabie saoudite était traditionnellement une destination privilégiée des migrants, qui représente environ 37 % de la population. Mais en 2017, Riyad a mis en place une vaste politique de “saoudisation”, visant à réduire sa dépendance à l’égard des travailleurs migrants, et lancé une vaste campagne d’expulsions. Depuis cinq ans, des dizaines de milliers de migrants ont ainsi été renvoyés, au Yémen ou chez eux, sans argent, sans logement ni suivi médical.

Ces derniers deviennent ainsi des pions au centre des tensions régionales. En avril 2020, des combattants houthis, qui se livrent à un bras de fer avec le pouvoir central yéménite, avaient ainsi expulsé de force des milliers de migrants éthiopiens au nord du pays, les forçant à se rendre à la frontière saoudienne. Plusieurs dizaines d’entre eux ont été tués et de nombreux survivants envoyés dans des centres de détention situés à la frontière. En 2019, HRW avait répertorié dix prisons et centres dans lesquels étaient emprisonnés les migrants dans le royaume, qui n’a jamais ratifié les principaux instruments internationaux relatifs à l’emprisonnement des migrants.

“Alors que Human Rights Watch documentent et alertent sur des meurtres de migrants à la frontière entre le Yémen et l’Arabie saoudite depuis 2014, ces nouvelles révélations montrent une nouvelle escalade de la violence avec des assassinats devenus systématiques”, conclut le rapport de l’ONG.

“Ces dernières années, l’Arabie saoudite a investi massivement pour détourner l’attention de son bilan en matière de droits de l’Homme, notamment en dépensant des milliards pour accueillir de grands événements culturels ou sportifs”, poursuit-il. “Mais pendant qu’elle essaie de blanchir son image, elle tire avec des armes explosives sur des civils non armés.”

“Si cela est le résultat d’une politique du gouvernement saoudien visant à assassiner ces migrants, alors cela constitue un crime contre l’humanité”, insiste Nadia Hardman, qui appelle à l’ouverture d’une enquête internationale sous l’égide de l’ONU et exhorte les participants aux grands événements internationaux parrainés par le gouvernement saoudien à s’exprimer publiquement sur les questions de droits humains.

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