Macron et l’avenir de la Françafrique
Début mars, le président français Emmanuel Macron s’est rendu dans quatre États africains – le Gabon, l’Angola, le Congo et la République démocratique du Congo – dans la région du Golfe de Guinée, riche en ressources naturelles. Le voyage, son 18e en Afrique, visait à contrer l’offensive de charme de la Chine et de la Russie sur le continent : les deux pays renforcent leur présence dans des endroits autrefois considérés comme faisant partie de la sphère d’influence de la France – le pré carré français.
Macron et l’avenir de la Françafrique
Avant d’entamer cette tournée, Macron a avoué en toute franchise que la France était dans une « période de transition » avec ses partenaires africains, alors qu’elle s’efforçait de développer des relations basées sur davantage que de la simple sécurité. Mais il a rapidement ajouté qu’aucune des six bases militaires françaises sur le continent ne serait fermée dans le cadre de ce rééquilibrage, soulignant les défis auxquels les pays africains sont confrontés pour démêler la croissance économique et les objectifs de développement des préoccupations de sécurité, auxquelles ils sont depuis longtemps subordonnés.
L’insistance de Macron sur la nécessité de maintenir la présence militaire de la France en Afrique (même si son empreinte est moindre) contraste fortement avec les points de vue des jeunes Africains, qui sont de plus en plus opposés à la présence militaire étrangère sur le continent. Curieusement, les Français sont plus d’accord avec les Africains qu’avec leur propre président : un récent sondage de l’Institut français d’opinion publique (IFOP) a révélé que 55 % des Français sont favorables à la fermeture des bases militaires de leur pays en Afrique.
La relation entre la France et l’Afrique est un exemple de la déclaration faite par Benjamin Disraeli en 1863 : « Les colonies ne cessent pas d’être des colonies parce qu’elles sont indépendantes. » La résilience du cordon ombilical colonial français est évidente dans plusieurs domaines du développement et de l’art de gouverner, notamment la sécurité, la politique économique et monétaire et la politique étrangère.
La guerre en Ukraine en est un parfait exemple. Lorsqu’en mars 2022, 25 des 54 pays d’Afrique se sont abstenus ou n’ont pas soumis de vote sur la résolution des Nations Unies condamnant l’invasion de la Russie, Macron a critiqué leur « hypocrisie ». Depuis lors, la France et d’autres puissances occidentales ont déployé d’immenses ressources financières et diplomatiques pour soutenir l’Ukraine, en contraste frappant avec la crise au Sahel. Depuis plus d’une décennie, les groupes terroristes déstabilisent la région et dévastent d’innombrables communautés. Pourtant ce problème n’a bénéficié que de peu d’attention à l’échelle mondiale et l’Occident n’a pas été en mesure d’y réagir efficacement.
En plus de démontrer la réponse mondiale asymétrique de l’Europe aux conflits, la crise ukrainienne a également mis en lumière le déséquilibre entre les relations de la France avec la Russie et son engagement auprès de ses anciennes colonies. En 2021, les investissements étrangers directs français en Russie ont dépassé les 3 milliards de dollars, éclipsant le total de ses IDE dans les anciennes colonies africaines, estimés à seulement 268 millions de dollars.
La composition de ces investissements est encore plus intéressante : les IDE de la France en Russie ont une forte composante industrielle, qui demande beaucoup de main-d’œuvre et qui permet une meilleure croissance inclusive comparativement à l’extraction des ressources naturelles, le principal objectif de ces flux vers l’Afrique. Au Forum économique international de St. Pétersbourg en 2018, Macron s’est vanté du fait que « les entreprises françaises emploient 106 000 citoyens russes ». Avant de se désinvestir du pays sanctionné, le constructeur automobile français Renault employait à lui seul 45 000 Russes.
Alors que Renault a contribué à la création de milliers d’emplois en Russie, les rues des anciennes colonies africaines françaises sont encombrées de voitures importées – une source majeure des déséquilibres extérieurs de ces pays. Cette dépendance excessive aux importations accroît la vulnérabilité de la région à l’instabilité mondiale, exporte des emplois et, dans certaines économies, a généré des taux de chômage supérieurs à 20 %, ce qui ne fait qu’accroître cette migration vers le Nord que les États européens cherchent à contenir. D’un autre côté, de nombreux pays africains possèdent les matières premières nécessaires à la fabrication de voitures, notamment les véhicules électriques qui seront essentiels à la lutte contre le changement climatique.
Le franc CFA est tout aussi préjudiciable, lui qui, contrairement à la livre sterling et à l’escudo, par exemple, persiste comme l’une des reliques les plus visibles du colonialisme. Créée en 1945, cette monnaie indexée sur la monnaie française est rattachée à l’euro et encore utilisée dans deux zones monétaires en Afrique de l’Ouest et du Centre. Macron a tenté de réformer le système fin 2019, en annonçant le remplacement du franc CFA par « l’éco » dans huit pays (bien qu’il n’ait pas encore été adopté). Mais même avec ce changement, la garantie de la France continue de saper la souveraineté monétaire et le rattachement de la monnaie à l’euro continue de nuire à la compétitivité et à l’industrialisation.
Ces effets négatifs du modèle colonial de développement de l’extraction des ressources ont entravé la diversification et laissé l’économie réelle de l’Afrique avec la courte paille de la mondialisation. Bien que l’Afrique représente environ 17 % de la population mondiale, elle ne représente que 3 % des exportations mondiales dans un environnement économique mondial en évolution rapide où le commerce est en grande partie mené par des produits manufacturés à contenu technologique croissant.
Les coûts sociaux sont considérables. La multinationale française Orano (anciennement Areva), par exemple, extrait de l’uranium nigérien depuis des décennies tout en bénéficiant d’une série d’avantages fiscaux. Cet arrangement avec son ancienne colonie positionne la France comme l’un des principaux exportateurs d’uranium et comme un leader mondial dans le domaine de l’énergie nucléaire, atténuant son exposition aux pénuries résultant des restrictions européennes sur les importations d’hydrocarbures russes. Pourtant le Niger reste l’un des pays les plus pauvres du monde – moins de 20 % de sa population a accès à l’électricité.
Albert Sarraut, ministre colonial français de 1920 à 1924 et de 1932 à 1933, a très bien saisi l’intention de l’économie impériale : « Économiquement, une possession coloniale signifie pour le pays d’origine simplement un marché privilégié dont il va puiser les matières premières dont il a besoin, en lui revendant ses propres produits manufacturés en contrepartie. » Encore aujourd’hui, plus de 80 % des pays africains demeurent dépendants des matières premières et souffrent de manière disproportionnée des crises récurrentes de la balance des paiements qui nuisent à la viabilité budgétaire et de la dette.
Dans un environnement géopolitique de plus en plus compétitif, l’ambition de Macron de redéfinir le rôle de la France en Afrique doit être accueillie favorablement. Mais un effort en ce sens doit découpler les préoccupations de sécurité des objectifs de développement et transcender les dynamiques néocoloniales. Dans un monde où l’innovation technologique s’accélère et où le fossé se creuse entre pays développés et pays en développement, les pays africains cherchent une intégration significative dans l’économie mondiale. Si les Français ne parviennent pas à faciliter ce processus, de nombreux autres acteurs géopolitiques attendent en coulisses.
Hippolyte Fofack, économiste en chef et directeur de recherche à la Banque africaine d’exportation et d’importation
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