Croissance, Bien-être économique, résilience aux chocs exogènes, emplois des jeunes : Mamadou Moustapha Ka, enseignant chercheur à l’Ecole supérieure d’économie appliquée dégage les pistes.

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Dr Mamadou Moustapha Ka est enseignant chercheur à l’Ecole supérieure d’économie appliquée (Esea-ex Enea). Chef de département planification économique, il revient dans cet entretien sur le bien-être économique. Pour lui, l’économie du bien-être est une théorie économique au service de l’évaluation des situations sociales et de la décision publique. Soutenant que notre matrice économique est fortement dominée par le « secteur informel », M. Ka recommande de redynamiser, de restructurer le secteur primaire et secondaire, pour une meilleure résilience économique face aux chocs multiples et imprévus.

Docteur, c’est quoi exactement le bien être en économie ? Quels sont les instruments et outils de mesure de ce bien être ?

Malgré son caractère polysémique de nombreux recoupements avec des termes proches ou liés (qualité de vie, mode de vie, vivre mieux, souffrance sociale, etc…), la notion de bien-être a pris une importance croissante dans l’action publique.

L’économie du bien-être est une théorie économique au service de l’évaluation des situations sociales et de la décision publique. Son étude porte sur les moyens et les critères qui permettent de juger et de comparer la qualité des décisions économiques et sociales. Elle évalue particulièrement les conséquences des actions individuelles et des décisions publiques sur les états sociaux de la population.

Pour élaborer des politiques efficaces et meilleures pour le bien -être économique, il parait très utile de bien diagnostiquer la situation sociale, enfin de mieux comprendre l’état des populations en terme de bien-être. Le bien-être est un concept multidimensionnel, qui recouvre divers aspects de la vie comme la consommation, l’éducation, les loisirs, la participation, le lien social, l’environnement, la sécurité, les revenus des ménages, la stabilité sociale et professionnelle, l’état de santé. Pour évaluer de manière exhaustive si les conditions de vie deviennent meilleures avec le temps, il est nécessaire de disposer d’un large éventail d’instruments et d’outils susceptibles de rendre compte de la réalité vécue par les individus.

Il existe des instruments monétaires et non monétaires pour mesurer le bien-être économique. Le Produit Intérieur Brut (PIB)/habitant) ou le Revenu National sont les indicateurs les plus connus et les plus largement utilisés pour évaluer le bien-être économique d’une société, ou d’une population et comparer éventuellement les pays dans le temps et dans l’espace.

Cette approche macro-économique, ne fait apparaitre qu’une analyse approximative des ressources dont bénéficient en fait les individus et les ménages.

A côté de ces indicateurs, d’autres instruments sont utilisés pour évaluer le bien-être économique. Ils sont notamment relatifs à la santé, à l’instruction, aux conditions d’accès au logement, à l’urbanisation et à la démographie.

L’insuffisance de l’indicateur économique par excellence, le PNB, et la multiplicité des autres indicateurs, ont amené les économistes à retenir un indice global de bien-être. Le plus simple est l’indicateur du développement humain (IDH), élaboré par une équipe dirigée par Amartya Sen (1990).

Une analyse microéconomique montre que les indicateurs sus évoqués n’appréhendent pas tous les aspects liés aux ressources économiques, qui contribuent pourtant au bien-être des individus : les revenus, l’autonomie, l’équité, la santé et la cohésion sociale.

Il est noté une disparité des courants de pensée et une divergence d’opinions sur les instruments de mesure du bien-être économique ? Ce constat ne constitue-t-il pas une limite d’analyse entre les pays ?

Le bien-être est un débat qui n’est jamais fini. Une approche théorique différente est notée entre les thèses vulnérables de Pigou et les critiques de Robbins. Par exemple, dans son ouvrage intitulé « The Economies of Welfare», publié en 1908, Pigou auteur de la théorie qui porte son nom considère que le bien-être n’est rien de moins qu’une théorie générale de la politique économique. Il voulait, tout simplement étudier les grands principes d’une science qui ne dégénérerait pas en recettes, mais seraient quand même essentiellement axés sur les grands problèmes sociaux, comme celui de l’existence de riches et de pauvres.

En réalité, la théorie du bien-être de Pigou repose sur deux propositions fondamentales. La première dit que tout accroissement de la somme disponible des biens économiques va dans le sens d’une augmentation du bien-être. La seconde se veut aussi de nature positive : étant donné l’utilité décroissante du revenu ou de la richesse, tout transfert de richesses des plus riches aux plus pauvres, qui n’a pas pour effet de décourager et donc de diminuer la production, représente un accroissement de bien-être.

L’objection majeure de Robbins est dirigée contre les effets des redistributions sociales interpersonnelles en termes de politique économique. Selon lui, il n’est pas prouvé de prétendre que la perte de satisfaction encourue par le riche en tenant compte de la fiscalité sera moins élevée que le surplus de satisfaction dont jouit le pauvre qui reçoit le produit de la taxe.

Nous venons de mettre en évidence quelques contradictions fondamentales qui ont toujours plus ou moins inconsciemment éloignées des économistes de la théorie du bien-être. Cette divergence idéologique d’appréciation implique une diversité d’instrument d’analyse du bien-être.

Il existe donc une diversité d’indicateurs qui, pris individuellement, présentent, pour la plupart d’entre eux, des avantages et limites.

En conséquence, la difficulté tient plutôt à la manière d’utiliser la pléthore d’informations disponibles de façon appropriée en vue d’améliorer la comparabilité internationale des indicateurs de bien-être. En effet, les préférences des individus à l’intérieur d’un même pays diffèrent entre elles.

De plus, les pondérations des différents indicateurs restent ouvertes à la discussion: comment arbitrer entre ces indicateurs si on sait que les caractéristiques économiques sociales et politiques des pays sont complètement hétérogènes.

Le bien être sénégalais est lourdement affecté par la crise sanitaire et économique. Quelle analyse vous en faites ?

En 2020, l’avènement de la pandémie de COVID-19 a fortement impacté notre pays et le monde en général. Elle l’a contraint à prendre des mesures draconiennes telles que le couvre-feu, la restriction des déplacements et la fermeture des frontières pour limiter la propagation du virus. A cela s’ajoutent des mesures portant sur le port du masque et la distanciation sociale. Je pense que cette crise a montré une certaine fragilité de nos modèles économiques. Notre matrice économique est fortement dominée par le « secteur informel ». D’où la nécessité de redynamiser, de restructurer les secteurs primaire et secondaire, pour une meilleure résilience économique face aux chocs exogènes.

Au niveau des indicateurs sociaux, le Sénégal a enregistré un recul de l’indice de développement humain (0,511 point en 2021 contre 0,513 en 2020) et se trouve ainsi à la 170ième place du classement mondial sur 191 pays. Selon vous, quelles sont les stratégies à portée économique à mettre en œuvre pour améliorer le bien-être sénégalais ?

Ce résultat montre que des sénégalais sont moins satisfaits c’est-à-dire qu’il y a une détérioration de leur bien-être. Nous venons de souligner que le bien être est multidimensionnel, donc la stratégie ne peut avoir qu’une approche multisectorielle. Il faut des stratégies ciblées dans le domaine de la santé, de l’éducation, de l’emploi, de la lutte contre la pauvreté, de la sécurité économique et physique et enfin sur les conditions environnementales.

L’insertion des jeunes constitue un problème majeur au Sénégal. Selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie, plus de 200 000 demandeurs arrivent sur le marché de l’emploi chaque année. Quelle appréciation faites-vous de cette situation qui constitue aussi un frein à la qualité du capital humain ?

Il est important de rappeler que le Sénégal a adopté le Plan Sénégal Émergent (PSE) en 2014, comme référentiel de la politique économique. Ce modèle doit être une source de croissance économique orientée vers l’amélioration du bien–être des populations. Le capital humain, la protection sociale et le développement durable sont trois thématiques clés de ce Plan.

D’après la théorie du capital humain (Robert Lucas), un individu qualifié sera d’autant plus efficace qu’il opère dans un environnement composé d’individus qualifiés. La question que je me pose si un diagnostic sans complaisance des besoins du marché de travail a été fait ?

Deux cent mille demandeurs, ce n’est rien par rapport aux niches d’emplois possibles ( faites le rapport nombre de demandeurs sur le nombre de département du Sénégal). Vous savez, le facteur travail entretient des relations complexes avec la croissance économique : la population active disponible est un déterminant de la croissance potentielle alors que le volume de l’emploi dépend de la croissance.

Comme stratégie de croissance, il faut penser à substituer progressivement les productions nationales aux importations. L’industrie nationale doit bénéficier d’une demande interne suffisante, ce qui explique la mise en place de mesures protectionnistes et d’une réforme agraire destinée à redistribuer les revenus aux plus démunis. Pour opérationnaliser cette idée, il faut impérativement privilégier tout d’abord les productions basiques pour opérer, par la suite, une remontée de filières (produits plus sophistiqués) et proposer une production diversifiée.

Dans le cadre de la Cellule Recherche appliquée de l’Ecole Supérieure de l’Economie Appliquée, nous travaillons sur de nouvelles pistes pour réorienter les politiques d’emploi et éventuellement proposer des stratégies pour résoudre l’inadéquation des qualifications, due aux évolutions structurelles.

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