BCEAO : 60 ans d’intégration monétaire
Il y a 60 ans, le 12 mai 1962, six pays africains nouvellement indépendants créaient, à travers un traité l’Union monétaire ouest africaine (Umoa), entré en vigueur le 1er novembre.
Pour célébrer cet anniversaire, la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), qui regroupe aujourd’hui huit pays, a organisé un symposium international sur le thème « Les banques centrales dans un monde de mutations ». Cette rencontre à laquelle ont pris part près de 150 participants a été l’occasion de réfléchir sur les voies et moyens pour préparer les futurs chocs.
S’exprimant à la clôture du symposium organisé par la Bceao à l’occasion de la célébration de son 60e anniversaire, au Centre de international conférences Abdou Diouf de Diamniadio (Cicad), M.Mario Centeno, Gouverneur de la Banque centrale du Portugal disait fort justement que « 60 ans dans une union monétaire, c’est un exploit. Nous avons beaucoup à apprendre de vous ».
Une telle déclaration ne surprend pas, car en effet, il faut rappeler que l’Umoa est la plus ancienne union monétaire dans le monde ; et la zone euro, qui n’existe que depuis 20 ans, s’est effectivement inspirée d’elle pour mettre en place son union bancaire au lendemain de la crise financière de 2007-2008.
Durant les activités marquant la célébration de cet anniversaire, les différents intervenants ont soigneusement évité d’aborder les questions qui fâchent, comme les critiques contre le FCFA, préférant mettre l’accent sur la stabilité qu’offre la zone franc.
Les observateurs les plus lucides s’accordent en effet à dire que l’intégration monétaire en Afrique de l’Ouest est l’une des initiatives les plus abouties. Peu d’unions monétaires dans le monde ont atteint une telle durée. Jusqu’ici l’Umoa a pu résister à de nombreuses turbulences dont les causes sont mondiales ou internes. Parmi ces turbulences on peut citer : les chocs pétroliers des années 70 et 80, la dévaluation du FCFA de 1994, la crise financière de 2007-2008 et la crise sanitaire mondiale de 2020.
Ils n’ont pas tort fondamentalement. À titre de comparaison, la notation souveraine du Ghana (un pays ayant sa propre monnaie, le Cedi) a été fortement dégradée (Caa2 selon Moody’s, CC selon Fitch et B- selon S&P). Au même moment malgré la dépréciation de l’euro par rapport au dollar US, le FCFA est demeuré toujours plus stable que le Naira et le Cedi. « À l’état actuel, les fondamentaux macroéconomiques de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, pays leaders de l’union, semblent plus solides que ceux du Nigéria et du Ghana », explique l’économiste sénégalais Moustapha Sène, enseignant chercheur à la faculté des sciences économiques et de gestion de l’Ucad. Il note que les rendements de la Côte d’Ivoire et du Sénégal sur les marchés eurobonds sont respectivement évalués à 8,8% et 9,5%, là où, les titres du Ghana ont des rendements à la maturité avoisinant les 35%, très loin de la moyenne africaine qui s’établit aux alentours de 12,4%.
Ainsi, malgré le contexte difficile, les deux locomotives de l’Uemoa font partie des pays les mieux notés en Afrique.
Dynamisme économique de l’Uemoa
Au-delà de la stabilité des prix, argument souvent brandi pour justifier le maintien du FCFA, les autorités monétaires de la Bceao mettent en avant le fait que la zone Uemoa est l’une des plus dynamiques sur le plan économique comparé au reste du continent. Jean-Claude Kassi Brou, le nouveau Gouverneur de la Bceao rappelle que la zone Uemoa a enregistré l’une des croissances les plus fortes du continent ces dix dernières années (5 à 6% en moyenne, contre 3% pour le reste de l’Afrique dans son ensemble).
« L’exploit » pour ainsi dire, est d’autant plus remarquable que l’expérience a montré qu’il est difficile de manier une union bancaire.
Pour donner une idée de la complexité de la prise de décision dans une union monétaire, le Gouverneur de la Banque centrale du Portugal donne l’exemple d’un ballon de rugby qui, pour le manier, nécessite « un mouvement d’équipe ». Pour Amadou Bâ, le Premier ministre du Sénégal qui a présidé l’ouverture du symposium, l’intégration monétaire constitue « un atout » dans un contexte mondial en mutation « peu propice aux actions solitaires et non concertées ». « Les incertitudes et les bouleversements du moment », dit-il, « nous invitent à consolider les fondements de notre union économique et monétaire ».
Abondant dans le même sens, M.Sani Yaya, président du Conseil des ministres des finances de l’Uemoa, souligne que la Bceao a su faire preuve à chaque fois « d’innovation, d’agilité et d’adaptation pour pouvoir non seulement jouer son rôle de garant de la valeur de la monnaie, de la stabilité des prix et en même temps accompagner les États face aux défis auxquels ils sont confrontés avec tous les instruments financiers dont elle dispose » , saluant au passage la qualité de la gouvernance de la Banque centrale.
Jean-Claude Kassi Brou : « L’union monétaire a atteint les objectifs atteints »
Le Gouverneur de la Bceao, Jean-Claude Kassi Brou tout en pointant du doigt le contexte actuel marqué par une forte inflation (quoique celle-ci soit inférieure à la moyenne du reste du continent), reste convaincu que l’Union monétaire ouest africaine « a atteint ses objectifs ». « Nous avons une zone de stabilité, parce que pendant de très longues années l’inflation a été contenue autour de 1% ; c’est le taux d’inflation le plus faible de tout le continent », s’est félicité M.Jean-Claude Kassi Brou, en marge du symposium.
Cette stabilité est très importante selon Dr Salah Eddine Taleb, Gouverneur de la Banque centrale d’Algérie, venu également prendre part au symposium de la Bceao. Ce dernier, dont le pays a particulièrement souffert de l’envolée des prix, prône le « retour à l’orthodoxie ». À son avis, le mandat principal d’une banque centrale, c’est la stabilité des prix. Un argument très souvent mis en avant par les autorités monétaires de l’Umoa pour balayer les critiques contre le FCFA, monnaie accusée très souvent de ne pas avoir favorisé « assez de croissance ».
Le nouveau Gouverneur de la BCEAO Jean-Claude Kassi Brou soutient le contraire. Selon lui la Bceao a su relever les défis aux différentes époques. Il cite en cela l’africanisation et la formation des cadres, la modernisation des instruments de politique monétaire et des systèmes et moyens de paiement, le renforcement de la supervision bancaire, le développement des infrastructures financières et du marché des titres publics (création d’Umoa-Titres) ainsi que la gestion des réserves de change. « Aujourd’hui, il s’agit de selon lui, de « tourner le regard vers l’avenir pour se préparer aux futurs chocs ».
Son prédécesseur, Tiémoko Meyliet Koné, devenu vice-président de la Côte d’Ivoire depuis avril dernier, estime que les bouleversements actuels « donnent une idée de ce qui nous attend demain ». « Au-delà des chocs exogènes qu’il faut maîtriser, l’adaptation au changement climatique et à la transition énergétique nécessitent des financements importants. Une situation qui interpelle la sphère de financement de l’activité économique, mais aussi et forcément les politiques monétaires », dit-il, avant d’ajouter, “l’encadrement des fintechs, la gestion des cryptoactifs ou encore la mise en œuvre d’une monnaie digitale de banque centrale constituent d’autres chantiers prioritaires… »
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