Commémoration de la bataille de Pathé Badiane : Hommage à l’Almamy Tafsir Maba Diakhou Ba
S’il y a une figure historique, religieuse et nationale qui doit être restaurée, célébrée et offerte en exemple aujourd’hui, c’est bien le grand Denyanké, l’Almamy Tafsir Maba Diakhou BA. Aujourd’hui plus que jamais, son nom revient dans l’évocation de l’histoire de notre cher pays, car son œuvre a été transversale et est à la croisée des chemins du passé religieux, politique, culturel et militaire du Sénégal. De lui, Cheikhou Oumar Al Foutiyou Tall disait « Chaque siècle, Dieu choisit cinq croyants comme pôles et sauveurs des hommes. J’ai la certitude qu’Almamy Maba Diakhou BA en est un ».
C’est lui aussi qu’El Hadj Malick Sy de Tivaouane appelait « le grand combattant [de l’Islam], celui même qui a fait le jihad à [sa] place ». Par ailleurs, c’est encore lui que Cheikh Ahmadou Bamba décrivait comme « un fervent croyant qui a combattu dans la voie d’Allah » et El Hadj Ibrahima Niasse de Kaolack appelait « Commandeur des croyants et leader juste ». Ces témoignages, parmi tant d’autres, renseignent, tant soit peu, sur le symbole, la dimension et la personnalité de l’homme.
Issu d’une lignée d’érudits musulmans et de guerriers qui remonte à Koly Teguelé (ou Tenguela) fondateur de la dynastie des Denyankobés qui a régné sur le Fouta Toro de 1534 à 1776, ou plus loin encore, à Soundiata Keita, grand empereur du royaume du Mali, Almamy Tafsir Maba Diakhou BA fut une figure religieuse et politique très connue en Sénégambie. Il fut également un enseignant et un guide religieux reconnu, un des grands architectes de l’Islam dans la Sénégambie. C’est lui qui a mis fin à l’anarchie et au régime autocratique Séréro-Mandingue multicentennaire dans le Rip-Badibou, mais aussi c’est lui qui infligea l’une des plus grandes défaites à l’armée coloniale française lors de la fameuse Bataille de Pathé Badiane (à Paos Koto) le 30 Novembre 1865 qui est commémorée aujourd’hui.
Né vers 1809 à Tawa (Tawakaltou), une bourgade située à 7 km au nord-est de Nioro, de Diakhou Dièye originaire du Jolof et de Ndiogou Hampathé BA originaire de Mbantou (un village situé près de Podor), Maba (aussi appelé Hama, Mouhamad ou Wack) a commencé son éducation très tôt sous l’égide de son père qui s’installa dans le Badibu anciennement nommé Rip par les Wolofs, en raison de ses sols marécageux. Il a ensuite fréquenté des écoles réputées dans le Cayor et le Jolof, où il a étudié auprès d’un marabout du nom de Momar Mbaye à Longhor. Ce dernier sera impressionné par l’érudition de Maba qui hérita de son daara et attira de nombreux talibés (apprenants) dans le Mbakhol et le Jolof. Selon certaines sources, son père l’a envoyé loin du Rip pour casser ses élans et sentiments de révolte qu’il a très tôt décelés chez lui et qu’il voulait le préserver des abus des chefs du Badibu.
A la mort de son père, Tafsir Maba accepta de rentrer dans le Rip sur la demande et l’insistance de ses frères. Il hérita du daara de son père et attira de nombreux disciples parmi ses parents et les enfants de dignitaires musulmans du Saloum et d’ailleurs. Tawa, ou il est resté jusqu’en 1851, puis Keur Maba Diakhou (qu’il fonda) devinrent ainsi d’ardent foyers religieux sous sa direction et il y enseignait toutes les disciplines religieuses allant de la mémorisation du Saint Coran, à la jurisprudence musulmane, l’exégèse du Coran, la science des Hadith ou encore la littérature, pendant près de 30 ans. Il invitait ainsi le roi du Badibu d’alors à se convertir sans succès et ce dernier de lui offrir un poste de Cadi qu’il déclina gentiment. Il se limita à ses fonctions d’enseignant et de cultivateur.
Les abus répétitifs des chefs Ceddo locaux sur les paysans et musulmans finirent par perturber la quiétude de Tafsir Maba. Le premier acte de haute portée qu’il accomplit et qui le propulsa au-devant de la scène fit suite à ce qui fut communément appelé « le massacre de Nanjigui ». En effet, en 1855, le Bur Saloum Coumba Ndama Mbodj attaqua, par abus d’autorité, le village de Nanjigui (un foyer religieux près de Kaffrine), tuant près de 140 personnes dont le chef, Serigne Nanjigui Ma Adjarra Birane Diop et capturant près de 70 érudits. L’Almamy initia et réussit une collecte pour la libération des captifs en faisant le tour des foyers musulmans du Saloum. Cet acte, o combien courageux et significatif, accrut l’estime, l’espoir et la considération que les populations eurent déjà pour lui.
Par ailleurs, la journée de prières dédiées à Serigne Wanar, Aly Coumba Yery Cissé, apres son décès, fut saisi par les notables musulmans pour discuter de la nécessité de s’organiser et de designer un leader afin d’apporter une résistance appropriée aux exactions perpétrées sur eux par les pouvoirs Ceddo. Leur choix se porta à l’unanimité sur l’Almamy. Il prit acte et leur demanda de faire le serment de garder secret les conclusions de leurs échanges et de lui rester fidèle. Ils acceptèrent tous et cet évènement fut connu comme « le serment de Wanar ».
Auparavant, avec son petit frère Mamour Ndary BA, l’Almamy Tafsir Maba Diakhou, eut à rencontrer El Hadj Oumar Tall à Kabakoto (près de Nioro) en 1846, rencontre durant lequel, on raconte qu’ils avaient échangé sur les secrets du Jihad. Ainsi, l’Almamy se donna le temps de bien se préparer, car c’est près de 15 ans après, en 1861 plus précisément, qu’il déclencha la guerre sainte. Dans la foulée, il tua le prince héritier du royaume du Badibu, Mad Diakhere Thiobane, et le souverain, Diereba Marone. Apres plusieurs autres batailles dans le Saloum à durant lesquelles il réussît à mettre fin au règne des Bur Saloum, il devint le maitre incontesté du Saloum et fut reconnu Almamy du Rip par les colons francais et « Commandeurs des croyants » par ses paires musulmans. Il rebaptisa la capitale du Badibu Nioro qu’il transforma en grand centre islamique qui attira d’innombrables disciples venant des quatre coins du Sénégal pour s’abreuver des sciences qu’il dispensait lui et son frère Mamour Ndary. Il y instaura un état théocratique, basé sur la Charia, le deuxième après celui de Thierno Sileymani Baal et Abdul Khadr Kane au Fouta Toro en 1776. Sans aucun doute, l’Almamy Maba Diakhou BA réussît ce qu’aucun autre leader religieux n’avait pu avant. Il attira et installa autour de lui, dans le Saloum, près de 250 familles (selon Iba Der Thiam) et s’imposa en véritable leader, maitre, imam et guide. A partir de Nioro, il entama plusieurs campagnes d’islamisation qui le menèrent dans le Cayor, le Baol et le Jolof en 1865. Il se distingua ainsi comme le plus grand et le plus vaillant résistant et propagateur de l’Islam dans toute la partie nord de la Sénégambie de 1861 à 1867. Sabatier disait en ce sens que l’Almamy songeait « à créer sous son égide une vaste confédération musulmane destinée à arrêter notre expansion et à briser définitivement notre puissance au Sénégal ». Il devint de facto l’ennemi public numéro 1 des colons français. Ces derniers décidèrent, par conséquent, de mettre fin à son Jihad lors de la bataille sanglante de Pathé Badiane le 30 Novembre 1865 qui est commémorée aujourd’hui 30 Novembre 2021. En effet, la bataille de Pathé Badiane fut la confrontation la plus mémorable entre les troupes françaises commandées par Pinet Laprade, lieutenant-colonel et gouverneur du Sénégal, et les forces musulmanes du Rip dirigées par l’Almamy Maba Diakhou BA, Commandeur des croyants. Partie de Saint-Louis du Sénégal, siège de leur pouvoir colonial, le 28 Octobre 1865, l’armée française reçût comme ordre de se concentrer à Dakar d’abord, puis à Kaolack avant de faire cap sur Nioro. Entre autres, elle était composée de :
– Pinet-Laprade, gouverneur, colonel du génie et commandant en chef de l’expédition.
– Brunetière, capitaine de spahis, chef d’état-major.
– Brossard de Corbigny, enseigne de vaisseau, officier d’ordonnance.
– Bou-el-Moghdad, interprète du gouverneur.
– Flize, chef de bataillon, commandant de Gorée.
– Reybaud, lieutenant à l’infanterie de marine.
– Dagon de la Contrie, sous-lieutenant au bataillon de tirailleurs sénégalais.
– Sidya Ndatté (Léon) Diop, chef du cercle de Nder.
– Tiécoro et Samba-Fall, interprètes.
– Jullien, chef d’escadrons, commandant l’artillerie.
– Revin, capitaine, commandant le génie.
– Dupuis, aide-commissaire.
– Vallon, capitaine de frégate, commandant.
– Des Portes, enseigne de vaisseau, officier adjoint.
– D’Arbaud, lieutenant-colonel.
– Hirtz, lieutenant en premier d’artillerie.
– Canard, capitaine, commandant.Guidé par ‘des considérations politiques et militaires’ dans le choix de son itinéraire, Pinet-Laprade mit sa colonne en marche en espérant saper « le prestige qu’exerçait Maba sur les populations » et enrôler des troupes locales. Il réussît ainsi à lever des contingents qui portèrent à près de 8,000 hommes son effectif total. On y comptait les volontaires du Walo, Jolof, du Ndiambour, du Cayor, de Diender, du Cap Vert et du Sine.
Du coté des forces musulmanes du Rip, on put retenir, entre autres : Almamy Tafsir Maba Diakhou BA, Abdoulaye Oulimata Khouma, Ousmane Sokhna Mangane, Ibra Anta Saly, Aly Khodia, Amath Khodia, Samba Khodia, Goumba Gueye Sanjal, Ndary Kani Touré, Sette Kani Touré, Lahine Marame Niang, Birane Cissé, Bokar Kane, Fodé Kaba Doumbouya, Ibrahima Kelel Thiam, Mouhamadou Bousso, Ngagne Khary Niang, Abdou Khoudia Camara Sy, Lat Dior Ngoné Latyr Diop, Alboury Ndiaye, Demba War Sall, Bounama Dior etc. En fin stratège et avec ses guerriers rompus à la tâche, l’Almamy Tafsir Maba Diakhou BA infligea à l’armée française l’une de ses plus grandes défaites. Le rapport de Sabatier fut sans équivoque :
« un combat terrible dans lequel officiers et soldats déployèrent la plus brillante bravoure. L’ennemi défendait ses positions avec une ténacité sans exemple, mais il fut forcé de reculer devant nos baïonnettes. On peut se faire une idée de l’énergie de la lutte par les pertes que nous avons éprouvées. Le capitaine Croizier, commandant le premier peloton de l’infanterie de marine, fut blessé mortellement. Le chirurgien de 2e classe Monstey Charbounié fut tué ; le lieutenant de vaisseau Duplessis reçut quatre coups de feu presque à bout portant; le sergent-major de la compagnie du génie, trois ; le capitaine Canard, commandant l’escadron, eut le bras traversé. Un quart de l’effectif des compagnies de débarquement fut tué ou blessé. La compagnie du génie eut 6 hommes tués et 10 blessés. Le gouverneur, lui-même, reçut un coup de feu à l’épaule gauche dès le commencement de l’action, ce qui ne l’empêcha pas, heureusement, de conserver le commandement. M. l’enseigne de vaisseau Des Portes, attaché à l’état-major, fut contusionné, et plusieurs hommes de l’escorte furent blessés ou eurent leurs chevaux tués ». Il reconnait en outre, « Nous n’avions pas pris possession effective du Rip après notre expédition de 1865 » et « le 2 décembre, au soir, la colonne reprit la route de Kaolakh où elle arriva le 6. »
Comme trophées de guerre, deux canons appartenant à l’artillerie française furent arrachés et demeurent, à ce jour, bien gardés à Nioro. D’un autre côté, les tactiques et stratégies militaires utilisées lors de cette bataille sont encore enseignées aux soldats en formation au Sénégal qui effectuent des visites de promotion sur le site.
Ainsi, le Sénégal rend hommage aujourd’hui, 30 Novembre 2021, à ce grand personnage de l’histoire du Sénégal qu’est l’Almamy Tafsir Maba Diakhou BA. Nous lançons un appel à l’Etat du Sénégal, aux mécènes et aux entreprises pour la protection, la sauvegarde et la valorisation du site, un lieu chargé de mémoires mais aussi un patrimoine nationale. Car dans ce lieu aussi sont morts de preux fils du Sénégal dans la défense de nos valeurs de Jom, de Ngor et de Fayda.
Dr Papa Malick BA, Enseignant-chercheur, UCAD
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