PM, 3ème mandat, bilan, UA, hydrocarbures
Macky SALL Macky Sall est sur tous les fronts… Le chef de l’État sénégalais, qui assume par ailleurs la présidence de l’Union africaine (UA) jusqu’en février prochain, n’a guère le loisir de se reposer. Entre la préparation (et la validation) des listes de sa coalition pour les législatives de juillet et la gestion des conséquences des crises (Covid-19, guerre en Ukraine), entre les urgences locales et les dossiers brûlants, qu’ils soient africains ou internationaux, l’agenda présidentiel a des allures de tonneau des Danaïdes. Chaque jour, de potron-minet jusque tard dans la soirée, il se remplit sans fin, provoquant sueurs et migraines parmi les membres de son cabinet ou au sein de son service du protocole. Réélu en février 2019 avec 58 % des suffrages, « Macky », comme l’appellent ses compatriotes, entend frapper un grand coup lors des législatives. Ultime test électoral avant la présidentielle de 2024, ce scrutin a été préparé avec minutie par le président lui-même, contrairement aux élections locales de janvier dernier, qui ont vu l’opposition glaner quelques victoires hautement symboliques, notamment à Dakar. Le chef de Benno Bokk Yakaar (BBY) veut une large majorité à l’Assemblée, avoir les coudées franches, faire une démonstration de force politique. Et travailler, dès août prochain, avec un Premier ministre issu des rangs de sa coalition.
Vous présidez l’UA jusqu’en février 2023. Alors que l’on pensait que votre principale mission serait la relance post-Covid, voire la gestion d’un certain nombre de crises spécifiques (coups d’État au Mali, en Guinée et au Burkina, terrorisme dans le Sahel, dossier éthiopien…), la guerre en Ukraine, lourde de conséquences, a éclaté. Quelles sont vos priorités ?
Macky Sall : Elles sont, hélas, nombreuses. En l’espace de deux ans, la pandémie de Covid-19 a engendré une situation économique particulièrement préoccupante, qui s’est traduite par une baisse importante de la croissance africaine, voire, dans certains cas, par des récessions. Au moment où nous commencions enfin à sortir la tête de l’eau, la guerre en Ukraine a éclaté. Avec pour conséquence une très forte hausse du cours des produits pétroliers, une augmentation sensible du prix des denrées alimentaires – notamment du blé –, le renchérissement du prix des fertilisants et des semences, etc. Tout cela a un très fort impact sur le coût de la vie, sur le pouvoir d’achat des Africains. En outre, si nous ne parvenons pas à nous approvisionner en fertilisants ou en céréales, une famine peut survenir. L’Afrique, tout en étant géographiquement éloignée de ce conflit, en est l’une des premières victimes. C’est pourquoi nous mettons tout en œuvre pour un retour rapide à la paix.
Vous avez eu un échange téléphonique avec Vladimir Poutine le 9 mars. Que vous êtes-vous dit ?
Nous nous sommes effectivement parlé – à mon initiative, en tant que président de l’UA. Je lui ai dit que l’Afrique, qui se retrouvait entre le marteau et l’enclume, souhaitait un cessez-le-feu en Ukraine. Le continent est touché par les conséquences de la guerre elle-même comme par les sanctions qui frappent la Russie. À l’époque, Vladimir Poutine avait indiqué qu’il était prêt à discuter avec les Ukrainiens. Mais nous voyons bien que ce n’est pas évident. C’est « un pas en avant, deux pas en arrière ». À la suite de l’invitation du président russe à me rendre à Moscou, l’UA m’a donné mandat pour demander l’arrêt des hostilités, ainsi que la possibilité de laisser l’Ukraine et la Russie exporter les céréales et les matières premières dont le monde a besoin. Après deux années de pandémie de Covid-19, la situation devient intenable. Autre motif de préoccupation, qui concerne l’Afrique de l’Ouest en particulier : les coups d’État (au Mali, en Guinée, au Burkina), et ces transitions à durée indéterminée, qui se multiplient… Tout cela est le reflet de la crise profonde qui frappe ces pays. Les coups d’État ne sont pas pour autant une solution. Ce n’est pas acceptable. Nous avons essayé, dans le cadre de la Cedeao, d’accompagner ces pays afin que leurs périodes de transition soient de courte durée. Une transition, par définition, n’a pas vocation à s’éterniser, il faut être raisonnable. Bien sûr, si les institutions africaines rencontrent des difficultés avec la Guinée, le Mali et le Burkina, c’est parce que ces pays représentent des enjeux géostratégiques pour l’Est comme pour l’Ouest. La compétition entre grandes puissances rend les solutions difficiles à trouver. Au Mali, les putschistes sont au pouvoir depuis vingt mois déjà. Nous acceptions de leur laisser seize mois de plus. La junte, elle, a parlé de [rester encore] vingt-quatre mois. J’estime que, en prenant surtout en considération les souffrances du peuple malien, nous pouvons nous mettre d’accord sur une échéance qui serait comprise entre seize et vingt-quatre mois. Pour la Guinée, la Cedeao va devoir prendre des mesures. Nous étions tout à fait disposés à collaborer avec les nouvelles autorités pour accompagner la transition. Réponse sans appel de la junte : ce sera trente-neuf mois ! C’est impensable. Le Burkina, lui, semble plus raisonnable dans ses discussions avec l’organisation ouest-africaine.
JE DÉSIGNERAI UN PREMIER MINISTRE APRÈS LES LÉGISLATIVES DE JUILLET, CELA ME SEMBLE PLUS LOGIQUE
Comment avez-vous vécu et analysé la présidentielle française d’avril ?
Cette élection a été très disputée entre le président sortant et les autres candidats, qui aspiraient à gouverner la France. Pour le reste, je me garderai bien d’en commenter les résultats. Si la candidate d’extrême droite Marine Le Pen l’avait emporté, cela aurait-il modifié les relations bilatérales entre le Sénégal et la France ? Tout dépend de la manière dont elle aurait entendu mener cette relation. La France a besoin de l’Afrique, et l’Afrique a besoin de la France. Si le chef de l’État français, quel qu’il soit, considère que l’Afrique est un partenaire, nous travaillerons ensemble. Si, en revanche, il considère que l’Afrique n’est pas une priorité, les Africains appliqueront le principe de réciprocité. Pour le moment, nous avons d’excellentes relations avec Paris. Je suis convaincu que, quels que soient les régimes en place, nos relations ne devraient pas pâtir de la couleur politique des dirigeants.
Au début de décembre 2021, à votre demande, l’Assemblée nationale a rétabli le poste de Premier ministre.
Vous aviez justifié cette décision par la charge que représentait la présidence de l’UA. Six mois plus tard, le Sénégal n’a toujours pas de Premier ministre. Pourquoi ?
Parce que, les élections locales passées, nous avons encore un scrutin : les législatives de juillet. Il m’a paru plus logique d’attendre leurs résultats pour désigner le Premier ministre qui sera issu de la formation qui les aura remportées. Avez-vous en tête un profil particulier ? Les profils, cela ne signifie pas grand-chose. Inutile de faire des projections. Le moment venu, un Premier ministre compétent sera nommé et il se mettra immédiatement au travail. MÊME DANS LES PAYS DÉVELOPPÉS, UNE COHABITATION EST RAREMENT UNE RÉUSSITE
Ces législatives représentent le dernier grand test électoral avant la présidentielle de 2024. Qu’en attendez-vous ?
Une nette victoire. C’est avant tout une question de cohérence vis-à-vis des choix du peuple sénégalais, qui m’a réélu. Nous avons mis en place un programme économique et social extrêmement exigeant, le Plan Sénégal émergent, qui a donné des résultats incontestables à tous égards. Nous avons réduit le taux de pauvreté de cinq points et amélioré sensiblement tous les indicateurs macroéconomiques, malgré la crise liée au Covid-19 et, aujourd’hui, la guerre en Ukraine. Pour protéger la population, nous avons bloqué les prix afin qu’elle puisse faire face à la hausse des prix de l’énergie, des denrées alimentaires, etc.. Ce qui, pour cette seule année 2022, coûtera à l’État près de 657 milliards de F CFA, soit près de 1 milliard d’euros, de soutien aux ménages. Sans parler de l’augmentation des salaires dans la fonction publique, de la transformation structurelle de l’économie, de la transition énergétique, du développement des infrastructures… Pour que cette politique puisse se poursuivre, le gouvernement doit avoir une majorité qui lui permette de ne pas perdre de temps. L’opposition veut une cohabitation ? Vous savez très bien que, même dans les pays développés, c’est rarement une réussite. Je ne peux imaginer un tel scénario au Sénégal. Nous sommes sous un régime présidentiel : on élit un président et on lui donne, dans la foulée, une majorité pour gouverner. Le passage du septennat au quinquennat a modifié l’ordre des choses, mais ne change rien sur le fond : le Sénégal, comme l’Afrique, a besoin de stabilité.
Quels rapports entretenez-vous avec vos opposants ? Certains, comme Ousmane Sonko ou Barthélémy Dias, ne vous ménagent guère…
Chacun a sa manière de s’opposer. Je ne m’attarde pas outre mesure sur mes adversaires. L’essentiel, c’est que, dans une démocratie, il y ait une opposition forte. Tant que l’opposition – quelle que soit la façon dont elle se comporte – est républicaine, cela ne me pose pas de problème. J’ai moi-même été opposant, je n’ai jamais eu un mot déplacé à l’égard de ceux qui étaient au pouvoir. Cela ne m’a pas empêché de gagner les élections. Chacun son tempérament.
Les Sénégalais se perdent en conjectures sur vos intentions pour la présidentielle de 2024, mais aussi sur le fait que vous pourrez ou non solliciter un nouveau mandat. Or vous ne vous exprimez guère sur le sujet. Que comptez-vous faire ?
Je répondrai à cette question après les législatives. Il sera alors temps de fixer le cap de 2024. En attendant, nous avons du travail, et guère le loisir de nous disperser. En mars 2021, après l’arrestation d’Ousmane Sonko, de violentes émeutes ont ébranlé le Sénégal, en particulier Dakar.
Comment expliquez-vous cette subite et inattendue explosion de colère ?
Cet événement judiciaire a été un déclencheur. Il faut remettre cette colère, naturelle, dans le contexte de l’époque, celui de la crise du Covid-19, du confinement et de toutes les privations endurées. Depuis lors, nous avons mis en place un programme très important, de 450 milliards de F CFA sur trois ans, visant à créer 65 000 emplois et à financer l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes. Ces emplois ont été créés, 5 000 enseignants ont été recrutés. En 2012, la fonction publique comptait 91 000 travailleurs. Aujourd’hui, ils sont 163 000. Beaucoup a été fait, mais ce n’est pas suffisant parce que la population croît très vite et que l’État ne peut tout assumer. Nous devons donc développer l’entrepreneuriat, la formation professionnelle et, surtout, les financements afin que ces entreprises puissent prospérer, être sources de création d’emplois.
ON NE PEUT PAS, SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX, PASSER SON TEMPS À PORTER ATTEINTE À L’HONORABILITÉ DES CITOYENS DANS L’ANONYMAT LE PLUS TOTAL
Le 3 mai, Journée internationale de la liberté de la presse, vous avez annoncé vouloir lutter contre les dérives d’internet et réguler les réseaux sociaux, qualifiés de « cancer des sociétés modernes ».
Qu’entendez-vous par là ?
Tout le monde en convient aujourd’hui : les dérives d’internet ne sont plus acceptables. On ne peut pas, au nom de je ne sais quelle liberté, passer son temps à porter atteinte à l’honorabilité des citoyens dans l’anonymat le plus total et à créer les conditions d’une rupture des équilibres qui garantissent la stabilité de nos sociétés. Nous ne pouvons pas laisser un outil aussi puissant que les réseaux sociaux faire fi de toutes les lois, et les fake newsgouverner le monde. Il faut réguler cette activité et faire en sorte que les grandes plateformes qui incarnent ces réseaux soient elles aussi responsables des contenus qu’elles véhiculent. Beaucoup profitent de ces supports : les terroristes, les délinquants, les trafiquants en tout genre, les cybercriminels… Il faut faire preuve de responsabilité. L’équilibre entre ce contrôle que vous appelez de vos vœux et la liberté est précaire et difficile à trouver…. Tout dépend de ce que l’on veut. On ne peut pas ériger en règle intangible l’injure, le mensonge, la diffamation au motif que « c’est sur internet ». Quand vous vous comportez de la sorte dans des médias traditionnels, comme la télévision ou la radio, la justice s’applique. Il faut donc qu’elle s’applique également sur les réseaux sociaux et que la loi y soit respectée. C’est tout ce que les gens demandent.
JE N’AI AUCUN SOUCI AVEC ABDOULAYE WADE. IL EST DÉSORMAIS UN HOMME ÂGÉ
Quelles sont vos relations avec votre prédécesseur, Abdoulaye Wade ? Vous avez été adversaires, en 2012. Il vous reproche l’emprisonnement de son fils, Karim, et ne vous a guère ménagé à son retour au Sénégal. Pourtant, vous venez de donner son nom au stade olympique de Diamniadio. La hache de guerre est-elle enterrée ?
Je n’ai aucun souci avec lui. Je me suis opposé à lui, après dix-huit ou dix-neuf ans de compagnonnage, car nous avions un différend. Cela arrive, en politique. Je l’ai battu à la présidentielle. Il est devenu mon opposant, je l’accepte tout naturellement. Aujourd’hui, tout cela est derrière nous. Notamment parce que le président Wade est désormais un homme âgé. Il l’était déjà en 2012… Certes, et donc encore plus aujourd’hui. Par principe, je ne me battrai pas contre un homme âgé. Je devais trouver un nom à ce stade, il m’a semblé que, pour honorer son engagement politique et son travail à la tête du Sénégal, donner le sien à un temple du sport et de la jeunesse était une bonne idée. J’ai fait ce que j’avais à faire. Le reste, maintenant, c’est de la politique.
Qu’est-ce que l’exploitation du gaz et du pétrole, découverts il y a maintenant quatre ans, va concrètement changer pour le pays ?
D’abord, la manière dont le Sénégal sera perçu sur les marchés financiers. Quand vous êtes producteur de pétrole et de gaz, on vous prend beaucoup plus au sérieux. J’ai déjà fait voter toutes les lois d’encadrement, dont celle portant sur la répartition des revenus futurs, celle, aussi, sur le contenu local, destinée à accompagner les entreprises privées sénégalaises dans tout ce qui relève des activités parapétrolières. Nous avons mis en place des dispositifs d’encadrement, très rigoureux, notamment avec le Comité d’orientation stratégique du pétrole et du gaz [COS Petrogaz]. C’est surtout là que le Sénégal peut gagner, non pas tant grâce aux revenus que nous tirerons du sous-sol, certes appréciables pour notre budget, mais grâce à tous les services qui pourront être développés dans l’environnement pétrolier et gazier. Cela étant, nous devons poursuivre les discussions, parfois difficiles, avec les compagnies pétrolières pour défendre nos intérêts stratégiques – ce que nous faisons en bonne intelligence avec le gouvernement mauritanien [le champ gazier de Grand Tortue Ahmeyim s’étend de part et d’autre de la frontière maritime entre les deux pays] et qui est capital.
LE TRAFIC DU BOIS A PRIS UNE AMPLEUR INOUÏE EN CASAMANCE. L’ÉTAT SÉNÉGALAIS NE POUVAIT PAS RESTER LES BRAS CROISÉS .
Dans le sud du Sénégal, la situation est toujours aussi floue. Depuis des années, vous négociez avec les rebelles du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC). Pourtant, l’armée sénégalaise vient de mener des opérations d’envergure. Peut-on encore croire à la paix ?
Évidemment. Il ne faut pas tout confondre. Depuis dix ans, la perspective d’un règlement du conflit était réelle. Le trafic de bois a cependant atteint une ampleur inouïe, au point de décimer la forêt de Casamance. L’État ne pouvait rester les bras croisés, d’autant que, dans le cadre de cette lutte contre le trafic de bois mais aussi contre le trafic de drogue, un détachement sénégalais de la Cedeao positionné en Gambie a été pris en otage par des rebelles. Je ne pouvais l’accepter. L’armée a donc démantelé toutes les bases que nous avions laissé prospérer depuis trop longtemps. Nous avons d’ailleurs découvert des quantités industrielles de culture de chanvre indien… À ceux qui ne s’adonnent pas à ces trafics, nous avons dit : « On dépose les armes, on fait la paix et on vous réinsère. » Nous sommes toujours dans cette disposition d’esprit. On ne cherche pas un vainqueur ou un vaincu. Je l’ai déjà dit : la Casamance, c’est le Sénégal. Nous tendons la main à tous les membres du MFDC qui ont le courage et la volonté de faire la paix.
Lorsque vous quitterez le pouvoir, laquelle de vos réalisations ou de vos réformes aimeriez-vous que les Sénégalais retiennent ?
Beaucoup me tiennent à cœur. J’ai créé une nouvelle ville, sortie de nulle part : Diamniadio. Le train express régional, le TER, est un autre motif de fierté car c’est un projet structurant, qui révolutionne nos transports publics et nous projette vers la modernité. Il y a aussi tout ce qui a été fait en milieu rural, dont on ne parle pas souvent mais qui a changé fondamentalement la vie dans ces territoires : l’accès à l’eau potable et à l’électricité, la couverture sanitaire universelle… C’est moins visible qu’un pont ou qu’une autoroute, mais c’est le fondement de notre politique sociale. En matière de santé, nous avons fait un bond qualitatif important, notamment en matière de plateaux médicaux. Pendant la pandémie de Covid-19, la construction du Centre des maladies infectieuses et tropicales a été une très belle réalisation : c’est « un hôpital dans l’hôpital » qui pourra faire face à n’importe quelle pandémie. Nous avons également développé, un peu partout, des universités modernes. Depuis l’indépendance jusqu’à mon élection, les résidences universitaires disposaient au maximum de 5 000 lits. Nous en sommes à 30 000. Mais reposez-moi la question au moment de mon départ, mon travail est loin d’être achevé.
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