EL HADJI MALICK SY
Ce week-end la communauté Tidjane était à Tivaouane pour célébrer la Ziara Générale qui ne s’est pas tenue depuis 2 ans à cause de la maladie de covid. Une occasion pour revenir sur l’œuvre et la dimension de Mame Maodo, un symbole de la tolérance et de la modestie qui a porté haut le flambeau de l’Islam au Sénégal et partout dans le monde.
L’œuvre de Cheikh Omar al-Foutiyou Tall a permis une large expansion de la Tijaniyya dans toute l’Afrique occidentale. C’est par son biais, en passant par Cheikh Al-Fahim Yoro que Seydi El Hadji Malick Sy reprit le flambeau et porta au plus haut la bannière de la confrérie avec notamment un travail inouï de vulgarisation.
A l’image de celui dont il a hérité, Cheikh El Hadji Malick Sy n’a pas bénéficié de circonstances paisibles pour dérouler sa méthode et sa philosophie. Le fameux principe soufi de Haml adhal wara (supporter les adversités) afin de progresser et mieux servir Dieu les hommes, a guide son action. Serigne Alioune Gueye l’exprime dans sa Marthiya (Ala nafsihi kam Aktharal Durra wal Adha / linaf ‘il baraya wal-ilahi bi marsaddi). Maodo a trouvé le Sénégal où il a réussi a implanter la Tijaniyya dans une situation plus que désespérante qui pourrait saper le moral des plus détermines (Ata wa biqaul ardi Zulmun wa Zulmatun, nous rappelle Serigne Alioune Gueye). Mais il a réussi à illuminer les cœurs et sauvegarder la flamme de l’Islam dans son expression la plus vitale.
Cette fierté du Sénégal et de la Umma islamique consolidera le caractère Muhammadien de la conduite du Tijani en dédiant sa vie entière au prophète de l’Islam. L’œuvre de Cheikh El Hadji Malick Sy est dense et d’une grande variété[1]. Mais la thématique la plus commune est celle du Madîh, panégyriques dédiées au Prophète de l’Islam. Le Khilâçu Dhahab, ce joyau poétique mais aussi mine inépuisable pour tout féru de Sîra (Hagiographie du Prophète) est devenue le symbole et l’illustration de son inimitabilité dans ce genre, trouvant ses origines depuis l’aube de l’Islam. De Ka’b Ibn Zuhayr et Hassan Ibn Thabit à Muhammad Al-Busayrî, on ne peut dénombrer les personnages illustres qui se sont distingués dans cet art prisé des soufis et dans lequel Cheikh El Hadji Malick Sy est un maître incontesté. A qui d’autre doit-on d’ailleurs la démocratisation du Gamou, évènement qui est rentré dans l’ordinaire et célébré un peu partout dans ce pays ?
Grace a Cheikh El Hadji Malick Sy, le musulman sénégalais a ceci d’enviable : vivre en permanente connexion avec la Sira du Prophete à tel point que ce dernier lui devient tout à fait familier. Il a su traduire ce caractère Muhammadien de la Tijaniyya, développé plus haut, en une réalité non seulement conçue mais sentie et vécue.
Qui d’autre mieux que lui a su rendre à Seydina Muhammad (PSL) ce qui lui revient ! Dans chaque facette de sa vie, Seydi El Hadji Malick renvoie tout au Prophète Mouhammad (PSL). Le point d’orgue de cet amour du Sceau des Prophètes et la volonté d’élever, autant que possible, celui-ci à son plus haut degré est l’inimitable Khilâsu Dhahab fî Sîrati Khayril ‘Arab dans lequel il adopte la rime en « m » (d’où l’appellation mîmiyya) et le mètre al-basît tel que le fit Muhammad al-Bûsayrî, l’auteur de la Burdah, quelques siècles avant.
Mais là où Seydi El Hadji Malick Sy innove c’est dans sa connaissance du contexte socio-historique dans lequel vécut le Prophète. Il navigue, constamment, entre la vie du Prophète et l’évocation de ce contexte avec une culture historique qui peut étonner plus d’un. Malgré le manque chronique d’ouvrages de références qui caractérisa son époque, la difficulté de les acquérir, sans parler de la complexité de l’environnement historique qui vit la naissance du Prophète (PSL), Maodo nous abreuve de connaissances sur Rome, Byzance, Chosroes, Anou Shirwân et les autres. Sa connaissance géographique doublée de sa maitrise de l’histoire qui se dégage de nombreux écrits reste encore une énigme et une source d’admiration pour quelqu’un qui n’a quitté le Sénégal que pour le pèlerinage à la Mecque. Lorsque Seydi El Hadji Malick Sy, dans son approche de la vie du Prophète et du berceau de la révélation, le Hijâz, en arrive à donner, avec une précision inouïe, les noms de lieux et de repères encore méconnus par les habitants-mêmes de ces régions, l’on ne peut qu’encore admirer ses efforts inestimables pour l’acquisition du savoir.
Du savoir comme mode d’action et de stimulation spirituelle : la méthode Maodo
Nombreux sont les hommages qui lui ont été rendus, dans ce sens, par les personnages les plus illustres de l’islam en son temps. Mais, à côté de celui de Serigne Hâdy Touré, Cheikh Thioro Mbacké a exprimé, de la plus belle manière, cette secousse qui venait de toucher l’islam du Sénégal en disant que « c’est un pilier de la religion qui venait de s’effondrer » en cette année 1922 qui l’a vu partir (tahaddama ruknu-d-dîni). Il remarque qu’avec la disparition de Seydi El Hadji Malick Sy, c’est un véritable esprit éclairé qui venait de faire défaut au monde des oulémas (kamâ khasafal qamâru), tel l’éclipse couvrant d’ombres la luminosité de la lune.
Ces témoignages ne peuvent entrer dans le registre de la complaisance car les actes posés par Cheikh El Hadji Malick Sy, eux-mêmes, sont là, intacts et encore plus éloquents. Outre la qualité de leurs auteurs, ces hommages qui sont rendus à El Hadji Malick Sy sont corroborés par son action en faveur de l’islam. Le savoir est son cheval de bataille, et à l’enseignement pour le transmettre, Maodo consacrera sa vie.
L’érudition de Cheikh El Hadji Malick Sy que reflètent la quantité et la diversité de ses œuvres avait même étonné ses contemporains si l’on sait les difficultés de son temps dés qu’il s’agissait des savoirs islamiques. La stricte surveillance de la circulation des livres et des personnes exercée par l’autorité coloniale rendait la tâche encore plus rude. Rappelons la lutte contre ce qui fut appelée « l’influence maghrébine », déclenchée, durant l’entre-deux-guerres, dans le sillage du Rapport William Ponty, pour empêcher l’expansion de l’islam par les échanges entre les deux rives du Sahara. (Ce rapport est encore consultable aux Archives Nationales du Sénégal et celles d’Outre-Mer à Aix-en-Provence.)
Comme les idées et les croyances ont une plus grande mobilité que les humains et les structures, la pensée de Maodo et son enseignement atteindront, malgré tout, les régions les plus lointaines de l’Afrique occidentale. Son œuvre littéraire colossale ne pourrait être dûment analysée dans le cadre de cet article. Il fit beaucoup appel au génie de la poésie pour transmettre son message avec une parfaite intelligence des réalités d’une société où les vers rythmés d’un poème sont plus facilement mémorisables que les fades phrases d’une prose. Sa parfaite maîtrise des techniques de la prosodie arabe (‘arûd) ne fait aucun doute. Le poids des mots et le choc des idées donnent à cette œuvre son caractère éternel. La qâsîda Rayy zam’ân fî sirat sayyid banî ‘adnân, plus connue sous le nom de Nûniyya, reste un témoin de ses qualités littéraires.
La pensée religieuse de Cheikh El Hadji Malick Sy ainsi que son style, sur le plan littéraire, ont marqué toute une génération de muqaddam qui les ont, ensuite, transmis à leurs disciples. Par un système pyramidal, il a su déjouer le plan d’assimilation culturelle des colons et contourner les obstacles devant lui dressés. Cette pensée est dominée par une grande ouverture d’esprit et une modernité avant l’heure. Cela est dû au fait que la confrérie Tijâniyya, une voie particulièrement élitiste, s’est, très vite, confrontée aux populations citadines et à l’élite des villes, véritables laboratoires d’idées et d’ébullition intellectuelle. Ce fait a certainement consolidé la place donnée au savoir et a la quête de la connaissance dans la stratégie de Cheikh El Hadji Malick Sy.
On pourrait penser que son attitude d’esprit à l’ égard du savoir et des sacrifices qu’il requiert ont durablement façonné sa manière d’être et d’agir d’où son penchant pour l’humilité.
Tolérance et modestie au service de l’éducation spirituelle : la leçon du Maitre Maodo
Devant l’impossibilité d’être exhaustif, on pourrait avancer que, généralement, la pensée de Seydi El Hadji Malick Sy est dominée par l’ouverture qu’il a toujours prônée ainsi que la tolérance exemplaire qui marque son discours. Dans un vrai sens de la mesure, il est arrivé à un équilibre ou tolérance n’a jamais rimé avec laxisme et où l’ouverture n’a point empêché son enracinement dans la Sunna et la Tariqa Tijaniyya.
Son célèbre Fâkihat at-Tullâb ou Jâmi’ul Marâm en est un bel exemple. Il y traite des principes généraux de la Tarîqa Tijâniyya et de la discipline du murîd, l’aspirant à Dieu et à la réalisation spirituelle. Conformément à sa sagesse légendaire, El Hadji Malick Sy y soutient que les différences de Tarîqa et d’obédiences doivent être perçues comme de simples différences de goût et non des sources de conflits ou de haine. Il appelle, explicitement, à une reconnaissance des dons et mérites de chaque homme de Dieu qui ne sont pas toujours forcément comparables. Pour Maodo, si les confréries sont différentes et n’ont pas les mêmes conditions, elles reflètent, néanmoins, toutes, les principes fondamentaux du soufisme et l’enseignement du Sceau des Prophètes (PSL). En quelque sorte une plurielle manifestation de l’unicité du but ultime comme dirait Ibn Arabi.
De ce fait, El Hadji Malick Sy instaure la modestie en doctrine et en fait le sage moyen d’éviter les tiraillements et les troubles sociaux. Dans la conclusion de Fakihat at-Tullâb intitulée Khâtimat fî Bayâni Ikhtilâfi awliyâ’i l-lâhi fi t-tarâ’iq wa al-madhâhib (Conclusion sur la divergence entre les Hommes de Dieu), Cheikh El Hadji Malick exprime cela avec une ouverture d’esprit et une tolérance révélatrices de sa personnalité hors du commun (vers 3, 4 et suiv.).
Il emprunte une image pleine de sagesse pour montrer que la réalité religieuse est jalonnée de différences de perception, en rappelant que seuls les courants divergent mais que le destin est commun et qu’on converge, tous, vers la seule et même Vérité éternelle ; celle de Dieu. « Oh mon frère ne critique pas un parfum (musc) alors que tu es enrhumé ! », dit-il, si nous essayons de traduire très approximativement le vers 7 du chapitre cité. Et comme, dans sa vision, « nul ne détient le monopole de la Vérité » (pas dans un sens sophiste !), il insiste sur les dangers de critiquer et de stigmatiser la voie d’autrui sans la comprendre et l’avoir expérimentée. Mieux, pour éviter les polémiques stériles et qui attirent la haine (al-mirâ’), Cheikh El Hadji Malick conseille à ses disciples d’avoir la maturité et l’esprit d’élévation qui consiste à ne pas répondre aux attaques. Ainsi, dans une pure tradition soufie, Maodo, conscient des fâcheuses conséquences qui peuvent découler de l’intolérance, du repli sur soi et du mépris des autres, fait de la modestie et du respect, un devoir religieux en soi, en utilisant le terme wâjib (vers 13). Par ce credo, traduit en actes concrets, dans sa vie, El Hadji Malick Sy a su mener une coexistence pacifique avec, aussi bien, ses coreligionnaires que les adeptes des autres croyances.
Cependant, il est une autre facette de son œuvre à travers laquelle s’exprime tout son enseignement spirituel, durablement enraciné dans la démarche propre à la Tijaniyya. C’est dans ces ouvrages qu’il traite de thématiques fondamentales liées au soufisme telles que l’éducation spirituelle, les cheminements de l’aspirant, le Zuhd, les relations sociales (Mu‘âmalât) et le rapport à Dieu. Bref, tout un champ du soufisme déblayé par Cheikh El Hadji Malick Sy, la plupart du temps en poésie par souci pédagogique (plus facile mémorisation), mais aussi à travers des traités comme l’incontournable Kifâyatu Raghibîn[2].
Fidèle à l’attitude d’humilité qui sous-tend toute son action mais aussi sa quête spirituelle, Cheikh El Hadji Malick Sy met, toujours, en avant le principe de crainte ou de conscience intime de Dieu (Taqwa). Sans perdre de vue, la facette miséricordieuse, il ne se fie pas non plus aux états d’optimisme excessif que confère aux dévots l’autosatisfaction démesurée. Mais quel que soit le degré de spiritualité, Cheikh El Hadji Malick Sy nous a toujours enseigné que l’aspirant ne peut se passer de la couverture et de l’indulgence de Celui qui est le Seul à savoir toutes les dimensions apparentes ou secrètes de sa personnalité et de ses actes dans toute leur insuffisance par rapport aux exigences de pureté et à la gratitude de Dieu. Cheikh El Hadji Malick Sy attire l’attention sur ce fait primordial lorsqu’il lance cet appel (da’awtuka yâ sattâru fa-stur ma’îbatî).
De son maitre, Cheikh Ahmad Tijani, Cheikh El Hadji Malick Sy hérita donc de cette manière d’allier l’excellence spirituelle à la pleine implication sociétale. Maodo le fit par l’éducation et la promotion du savoir. Sa façon d’appréhender le savoir n’est pas du type de l’érudition décalée de la réalité et de la société, ni une forme de gnose sans racine et incapable de produire des ressources spirituellement mobilisables. C’est une connaissance et une éducation spirituelle au service de l’action fidele à l’idéal de la tarbiyyat al-himma.
Si Cheikh Ahmad Tijani a réussi à amorcer cette rupture en matière de tasawwuf au 19eme siècle, c’est qu’il a su traduire les idéaux en réalité et faire de l’aspirant a la réalisation spirituelle un véritable acteur conscient, utile et au cœur de son monde social. Et pourtant, sans fuir ce monde social qu’il a affronté, aidé en cela par sa solidité spirituelle, Cheikh El Hadji Malick Sy, a revivifie l’enseignement de Cheikh Ahmad Tijani. Comme l’a si bien exprimé Serigne Babacar Sy (Rabba bila Khalwatin ashabahu alanan…etc.), voici qu’une voie se singularise par une intense spiritualité doublée d’une forte implication sociétale tout en atteignant l’idéal de l’istiqama (droiture).
El Hadji Abdou Aziz Sy Dabbakh, désignait Maodo, à juste titre, par le qualificatif de ‘Alamul Huda (l’incarnation ou l’étendard de la droiture). Entre le Ilm, la connaissance à son plus haut degré qu’il inculquera avec mansuétude et de la manière la plus débonnaire (Hilm) à des générations de Muqaddam, Cheikh El Hadji Malick Sy a produit des résultats difficilement égalables dans la formation d’hommes hors du commun, de personnes-ressources et de valeurs sures au service de l’Islam (Fajahada fiha bi siyasati wa nada, wa ilmin wa hilmin fahtada kullu muhtadi).
Témoignage ne put être plus éloquent dans ce sens, que celui de la Revue Al-Azhar : ‘« grâce à lui, l’Islam a connu son épanouissement dans ce pays [Sénégal] en créant des écoles, des mosquées, des zâwiya, et, poursuit la revue, il a aussi formé de brillants érudits qui se sont éparpillés dans tous les coins du pays telle l’expansion de la lumière dans l’obscurité’ (Revue Al-Azhar Juin 1995).
Entre Sharî‘a et Haqîqa ou l’art de la conciliation chez Cheikh El Hadji Malick Sy
A la différence de nombreux hommes du Tasawwuf et en veritable dépositaire de l’héritage de la Tijaniyya, Cheikh El Hadji Malick n’a jamais été habité par une quelconque tension ou un balancement entre les impératifs de la Shari’a et ceux de la Haqiqa. Il a su les concilier et ainsi créer une sorte d’harmonie favorable à une vie spirituelle se fondant sur la première en se nourrissant de la seconde. Ce vers tiré de son ouvrage intitulé Kifâyatu Râghibîn résume, à lui seul, une telle attitude d’esprit (wa bâtinun lam yuwâfiq min sharî’atînâ/ fa-ktubhu bil-lâmi lâ bin-nûni kal fitanî) où il exclut toute sorte d’extrapolation mystique non conforme à l’esprit de la Sharî’a. Tout bâtin (ésotérisme) qui contrarie cet esprit est considéré par Maodo comme un bâtil (l’ivraie).
Le plus remarquable de l’expérience de Cheikh El Hadji Malick Sy est ce sens de la mesure et la conscience de l’équilibre entre la Sharî’a et la haqîqa. Il a su rester, sa vie durant, selon l’heureuse expression du Professeur Rawane Mbaye, ce « pôle d’attraction » entre les deux domaines de la connaissance, s’appuyant merveilleusement, sur une donnée essentielle que le saint Coran qualifie de meilleur viatique vers le vrai monde al-Taqwâ, traduit – et certainement réduit – à la « crainte de Dieu », état non mesurable parce qu’intérieur, mais qui se manifeste par les actes. Tous ceux de Maodo, d’après les témoignages de ses contemporains, reflètent cette conscience intime de Dieu.
S’inscrivant dans la pure tradition Seydina Cheikh Ahmed Tijâni, El Hadji Malick Sy a tenté et réussi cette expérience soufie innovée par la Tijâniyya. Comme le prône la Tariqa, Maodo a pu allier éducation spirituelle et plein engagement dans le monde d’ici bas, cette sorte de « retraite au milieu de la société », une tarbiya au-delà de l’abstraction, décelable au visu (‘al-hâl) et à l’action (‘al-himma) tendant résolument vers l’istiqâma, la droiture (Wa man lî bi ‘ustâdhin yurabbî murîdahû/ bilâ khalwatin bal himmatin mithla ahmadî, pleurait Serigne Alioune Guèye à sa disparition).
El Hadji Malick Sy s’est appuyé sur les inépuisables ressources spirituelles de la Tijâniyya en rompant avec le mysticisme des refuges, de la fuite et de l’isolement (comme dans la khalwatiyya), jusqu’à parvenir à la « sacralisation des actes quotidiens » dont parle Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy. De ce fait, l’enseignement de Maodo s’inscrit dans le traditionnel schéma triptyque où, après l’acte de foi (Imân), la soumission manifeste et sincère à Dieu (Islâm), l’aspirant cherche à parfaire son rapport à l’Etre Suprême par l’Ihsân ; l’état ultime où la conscience de Dieu guide les pas du néophyte dans sa quête de la félicité. Un tel projet ne pourrait être mené à bien sans que son porteur se soit agrippé à la Sunna du Prophète (PSL) dont il suit les traces, ‘alâ nahji rasûl, comme le rappelait Serigne Alioune Guèye.
Il est vrai que c’est dans ce domaine de l’observance de la sunna prophétique que les témoignages sur Seydi El Hadji Malick sont sans appel. Ainsi Seydi Tijan Ibn Bâba al-‘Alawî, s’arrête, dans l’élégie dédiée à Maodo, sur sa rigueur et son souci de la référence et de l’authenticité en matière religieuse. Il lie cet aspect de la personnalité de Seydi El Hadji Malick Sy à son attachement au Prophète. C’est à dire que Maodo a toujours su faire vivre le principe de l’amour du Prophète qu’il définit comme intrinsèquement lié à l’action et à l’application de la Sunna. Il le dit dans Khilas Dhahab « wa laysa naf ‘un ‘alâ hubbin bilâ ‘amalin/ wa tâbi ‘an sunnatal mukhtâri faghtanamî », « il n’y a aucune utilité à clamer son amour au sceau des prophètes si cet amour n’est pas matérialisé en action/ Il faut que tu suives la sunna de l’Elu ». C’est pourquoi, en fin connaisseur de Seydi El Hadji Malick, Tijane Ibn Baba l’identifiait à un Bukhârî dans sa rigueur et sa soif de sagesses et de paroles authentiques, mais insiste sur son travail de panégyrique en l’honneur du Prophète Muhammad (PSL) (Fakâna k’abni Zuhayrin fî madâ’ihihi), dit-il en le comparant à Ka‘B Ibn Zuhayr devenu le modèle dans cet art et qui a fortement influencé Muhammad al-Busayrî, l’auteur de la célèbre Burda, chantée à Tivaouane durant les dix premiers jours de mois béni de Rabî’al-awwal.
De même fit Cheikh Ahmad Sukayrij dans un témoignage épistolaire adresse aux Tijanes du Sénégal et a sa famille qu’il corroboré plus explicitement dans un autre de ses ouvrages comme son Radd akâdhîb al-muftarîna ‘alâ ahlil yaqîn, pour apporter les preuves de la totale inscription de la Tijâniyya dans la sunna du Prophète Muhammad. Il lui donna comme titre Jinâyat al Muntasib al-‘anî Fî mâ nasabahû bil kadhib Li –Shaykh Tijânî et y recense les accusations gratuites faites à la confrérie, pour les démonter avec verve et preuves à l’appui. C’est cet ouvrage que le grand Muqaddam marocain a choisi pour présenter, Seydi El Hadji Malick Sy, aux côtés d’El Hadji Omar et d’autres illustres personnages, en ces termes : « Parmi ceux qui ont brillamment écrit et composé de manière bénéfique sur la Tijâniyya, on peut citer le legs béni des anciens aux générations suivantes, habitant dans la région du Sénégal, le grand muqaddam, feu Seydi El Hadji Malick ibn Othman. Il a éclairé l’élite comme le commun des mortels en levant le voile (sur les connaissances). Quiconque se penche sur ses œuvres aura la certitude que l’auteur fait partie des grands hommes de Dieu (Kummal al-rijâl) qui ont reçu la grande ouverture divine (‘al-maftûh alayhim). […] Il s’est consacré sa vie durant à l’éducation et a initié un nombre inestimable de disciples à la Tarîqa qui ont témoigné de son observance des recommandations divines, de son intransigeance dans l’adoration de Dieu, de sa disponibilité à servir son pays et ses Hommes tout en se détournant de ce qu’ils possèdent (voir Jinayat…p.81.
La confrérie Tijaniyya est née pour relever un défi et restaurer un ordre. Son destin est d’être contraint à affronter les difficultés, sa singularité réside dans le fait de symboliser l’universalité de l’Islam en réconciliant spiritualité et plein engagement sociétal. C’est une spiritualité vivante qui a amorcé une véritable rupture lui valant tous les mérites mais l’expose, en même temps, comme la citadelle du soufisme, objet de toutes les visées. Mais c’est justement de là qu’elle tire toute sa force. A l’image de la mission Mouammadienne qu’elle catalyse, les défis de toute sorte lui sont inhérents. Sinon elle perdrait sa singularité. Cheikh Ahmad Tijani, en tant que personnage historique comme figure mystique, a marqué son époque tout en fournissant aux générations suivantes leur viatique pour affronter les défis de leur temps. Mais il peut surtout se targuer de pérenniser son enseignement spirituel par les hommes de pensée et d’action qui se réclament de lui. Finalement, son héritage a su perdurer même à l’épreuve du temps et de ses vicissitudes grâce à la conscience du devoir chez ses héritiers de la trempe de Cheikh El Hadji Malick Sy.
Ce dernier n’a-t-il pas assez œuvré pour que les générations futures soient, elles aussi, conscientes du défi qu’ils se doivent, à leur tour, de relever ?
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