Potentiel minier
– Quand il s’agit d’évoquer le potentiel minier de l’Afrique, les chiffres donnent le vertige et les superlatifs ne manquent pas. Pourtant, les immenses ressources minérales des sous-sols africains ne profitent que faiblement (voire pas du tout) à leurs économies. Ces dernières années, certains Etats semblent avoir compris qu’ils gagneraient beaucoup à changer la donne. Sur la longue route qu’ils auront à parcourir, il leur faudra trouver le courage et la détermination pour chasser certaines sociétés minières juniors qui se font abusivement de l’argent en spéculant durant plusieurs années sur des permis miniers qu’elles n’auront jamais les moyens, ni même parfois l’intention, de développer.
Il existe plusieurs types de compagnies dans le secteur minier. Les « géants miniers » sont ces grandes multinationales qui font partie des plus grands groupes du secteur et possèdent plusieurs opérations minières dans plusieurs juridictions. En dessous de ces champions se trouvent les compagnies minières qui ont des moyens plus modestes, mais exploitent déjà au moins un gisement minier. Puis les « jeunes pousses » qui n’ont presque ou pas de moyens financiers et qui doivent encore « séduire » les investisseurs. C’est cette dernière catégorie qui conduit généralement les premiers travaux d’exploration sur un site minier, avec de faibles chances de réussite puisque très peu de projets d’exploration aboutissent à une exploitation.
En cas de succès, ces petites entreprises doivent, soit chercher du financement pour se lancer dans l’exploitation de leur découverte, soit céder tout ou partie du projet à une compagnie plus grande ou encore se faire racheter par une société qui a les moyens et qui est intéressée par l’actif.
Si le rôle de ces juniors dans la chaine de valeur de l’industrie est important, certaines de ces entreprises n’hésitent pas à en détourner l’objectif pour s’enrichir abusivement. Elles se font octroyer des licences d’exploration dans les juridictions minières en vendant du rêve aux gouvernements et ensuite elles spéculent en bourse durant plusieurs années sur le potentiel qui leur est confié, en augmentant leurs propres valeurs en bourse.
Si le rôle de ces juniors dans la chaine de valeur de l’industrie est important, certaines de ces entreprises n’hésitent pas à en détourner l’objectif pour s’enrichir abusivement.
Le secteur de l’exploration minière s’est développé en Afrique ces dernières années. Le continent réputé pour ses grandes richesses minières inexplorées attire de plus en plus de compagnies étrangères. Et le lot pullule de junior-minières.
Les sociétés minières juniors se multiplient en Afrique
Selon une base de données des centaines de permis d’exploration sont détenus par ces entreprises junior dans la plupart des juridictions minières du continent. Elles sont pour la plupart cotées sur la bourse ASX ou sur les marchés alternatifs (TSX-V à Toronto ou le marché AIM de la bourse de Londres).
1 MINIERRE
La plupart du temps, l’exploration minière ne demande pas des moyens considérables.
Si plusieurs d’entre elles s’activent vraiment pour développer leurs projets, d’autres ne font pas grand-chose de leurs licences, sinon spéculer en bourse sur la valeur virtuelle des concessions qui leurs sont octroyées. Au Cameroun, pays souvent utilisé pour illustrer le phénomène, plusieurs entreprises étrangères ont ainsi jeté de la poudre aux yeux des dirigeants pour détenir sur une longue période des projets sans jamais les faire démarrer. Par exemple, au début des années 2000, l’américain Hydromine a promis au Cameroun un investissement d’environ 5000 milliards de francs CFA pour développer le projet de bauxite de Minim-Martap. Cela s’avèrera n’être qu’un « bluff », car la société va se révéler plus tard n’être qu’une startup sans ressources.
Face à son incapacité à trouver le financement, le gouvernement camerounais a dû, en juillet 2018, se résoudre à transférer les permis sur ce projet minier à l’Australien Canyon Resources.
Il en est pratiquement de même pour Geovic Mining, une junior américaine cotée à Toronto et à la structure complexe qui a longtemps entretenu l’espoir d’exploiter le gisement de nickel, cobalt et manganèse de Nkamouna, à l’est du Cameroun. Malgré de nombreuses années passées sur le site, le projet n’a jamais pu décoller. Un scénario qui n’est pas sans rappeler celui de Sundance, qui est resté plus de 15 ans sur le projet de minerai de fer Mbalam-Nabeba (à cheval entre le Cameroun et le Congo), a promis de faire des deux pays de grands exportateurs, mais n’y est jamais parvenu.
Pourquoi les Etats africains tardent-ils à réagir ?
Selon une enquête réalisée il y a quelques années par le géologue congolais David Beylard et publiée dans Les Afriques, la liste des juniors minières qui se font ainsi de l’argent sur le dos des pays africains est longue. Et les scénarios se ressemblent pour la plupart. Elles montrent dans les premiers mois qui suivent l’acquisition des licences un certain dynamisme et font de multiples promesses pour emballer les autorités. Quand elles commencent par marquer le pas, la première raison avancée est « l’état du marché ». Par exemple, dans le cas de Sundance Resources au Cameroun, l’entreprise évoque pour expliquer en partie son retard sur le projet Mbalam, la chute mondiale des prix des matières premières en 2015. Sauf qu’elle est arrivée dans le pays depuis 2006 et qu’elle prévoyait initialement de lancer la production de minerai de fer en 2012.
Mais si ces compagnies étrangères gardent sur une si longue période les permis sans produire la moindre once ou tonne, la faute est imputable en partie aux dirigeants africains. Ces derniers achètent trop vite et facilement les rêves vendus par des entreprises qui n’ont aucun moyen financier, certaines étant même des « coquilles vides ». C’est pourtant leur rôle de savoir qu’une entreprise junior n’a en général pas des moyens financiers pour aller en phase d’exploitation et que les projets d’exploration qui aboutissent à des opérations minières ne sont pas nombreux. Ils sont donc censés rester sur leurs gardes quand ils accordent des licences à ces petites entreprises qui n’ont aucune référence dans le secteur minier. Ils devraient se méfier quand les reports d’échéances commencent à se multiplier.
Mieux vaut tard que jamais
En mai dernier, le gouvernement éthiopien a décidé d’annuler 27 permis miniers non utilisés, et a envoyé des avertissements à trois sociétés. Quelques mois plus tôt, en décembre 2020, il révoquait 63 licences pour la même raison. Selon le ministre des Mines Takele Uma, ces licences seront réattribuées dans le cadre d’un appel d’offres international. L’objectif de l’Etat est, apprend-on, de stimuler la production minière et de faire du secteur minier un secteur clé de la réforme économique.
2 START
Ce que des start-up étrangères sans moyens peuvent faire, des entreprises africaines pourraient tout aussi bien le faire.
En août 2020, c’est au Malawi que le gouvernement a averti les compagnies détentrices de licences, mais qui ne mènent aucune opération sur le terrain, que leurs permis seront bientôt annulés. Le ministre des Mines Rashid Gaffar a indiqué que toute licence restée inutilisée pendant au moins 5 ans ou plus sera révoquée.
En Tanzanie, le gouvernement de l’ancien président John Magufuli avait pris la même décision en janvier 2019. Il prévoyait de retirer aux grandes compagnies minières les permis non encore exploités et de les attribuer aux petits exploitants.
Au Zimbabwe, le gouvernement veut « rigoureusement » appliquer une politique « utilisez-le ou perdez-le » dont le but est de forcer les entreprises à développer leurs actifs miniers et à ne pas les conserver à des fins spéculatives. Le ministre des Mines Winston Chitando a ainsi expliqué en novembre 2019 que certains investisseurs n’ont toujours pas développé des actifs d’or et de platine qu’ils détiennent depuis les années 1960. L’Etat leur demandera de justifier pourquoi ils continueraient de conserver leurs licences sur ces actifs.
Tous ces cas traduisent un début de prise de conscience par les Etats du laxisme dont ils ont longtemps fait preuve et qui les a empêchés de tirer véritablement parti du potentiel minier de leurs sous-sols. Annuler tous ces permis inexploités, si les autorités vont au bout de leurs décisions, est un début de solution qui arrive peut-être tard, mais arrive quand même. Il faudrait aussi réfléchir sur comment investir eux-mêmes dans les premiers travaux d’exploration minière pour les mettre en meilleure position financière au moment de choisir à qui attribuer les potentiels gisements.
Il n’y a pas qu’en Afrique…
Rappelons ainsi le cas de la petite société Bre-X, à l’origine d’une des plus grosses arnaques de l’histoire du secteur minier. Cette entreprise a acquis au début des années 1990 un permis d’exploration en Indonésie et fait grimper, à coups d’annonces, le cours de son action à la Bourse de Vancouver. « En 1994, les sondages détectent [une minéralisation significative], qui fait estimer la richesse du gisement entre 3 et 6 millions d’onces d’or. L’action de Bre-X passe de 0,28 cent de dollar canadien à 1,74 dollar. En 1995, l’estimation grimpe à 12 millions d’onces, l’action, à 53 dollars », raconte ainsi un article du Monde. En 1996, la société déclare une estimation de 200 millions d’onces et les investisseurs se ruent sur les actions de la société désormais valorisée à 6 milliards de dollars canadiens. A l’époque, les qualificatifs ne manquent pas pour la « découverte d’or du siècle », plusieurs géants miniers tentent de racheter la société, dont les dirigeants reçoivent en 1997 le prix de « prospecteurs de l’année » décerné par Northern Miner. Mais le château de cartes ne tardera pas à tomber. En mars 1997, une équipe de spécialistes envoyée sur le site ne trouve pas de traces de l’or annoncé. Les enquêtes qui seront effectuées les mois suivants et qui dureront plusieurs années, vont confirmer que la société a « salé » les échantillons de sol prélevés. Cette technique consiste à mélanger de la poudre d’or aux carottages avant leur envoi au laboratoire. L’entreprise Bre-X, qui a approché une valorisation boursière de 20 milliards $ va faire faillite et la bourse de Vancouver, où étaient cotées plusieurs sociétés minières juniors, va en payer les pots cassés.
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