Scandales pétroliers africains, 1er épisode
Plus de 100 000. C’est officiellement le nombre de personnes affectées par les déversements de déchets pétroliers dans plusieurs communes d’Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire, en 2006. Pour de nombreuses victimes, les séquelles demeurent, et elles estiment ne pas avoir obtenu justice. Le scandale du Probo Koala est la première partie d’une série d’articles sur les plus gros scandales de l’industrie pétrolière en Afrique.
Ce qui s’est réellement passé
Août 2006. Le vraquier Probo Koala, battant pavillon panaméen arrive au port d’Abidjan, transportant environ 600 tonnes de déchets pétroliers appartenant à la multinationale Trafigura. Il s’agit plus précisément de naphta de cokéfaction, un produit toxique et extrêmement dangereux, en raison de sa très forte teneur en soufre. Ce naphta est issu d’une opération de lavage à la soude caustique menée à bord du vraquier.
L’objectif était initialement de mélanger le naphta avec de l’essence puis de le revendre comme carburant sur les marchés ouest-africains. Une manœuvre qui rappelle le scandale « Dirty Diesel » en 2016, où il a été découvert que des négociants comme Vitol, Addax, Oryx ou encore Trafigura commercialisent en Afrique des carburants à teneur 378 fois supérieure au seuil autorisé en Europe et en Amérique. Ces carburants sont très peu onéreux à produire et les bénéfices tirés de leur vente tout aussi intéressants.
Une manœuvre qui rappelle le scandale « Dirty Diesel » en 2016, où il a été découvert que des négociants comme Vitol, Addax, Oryx ou encore Trafigura commercialisent en Afrique des carburants à teneur 378 fois supérieure au seuil autorisé en Europe et en Amérique.
D’après des données fournies par Amnesty International, si le naphta de cokéfaction était mélangé à de l’essence et que la marchandise était écoulée dans la région, Trafigura réaliserait 7 millions de dollars de chiffre d’affaires par cargaison. Or, le Probo Koala transportait de quoi produire 3 cargaisons de carburant. Mais l’opération est illégale et plusieurs paramètres contraindront la société à y renoncer et à se débarrasser des déchets. Comment ?
Elle tente de les décharger à Malte, en Italie, à Gibraltar, aux Pays-Bas et au Nigéria sans succès. À Amsterdam, par exemple, plusieurs organisations de la société civile s’opposent au déchargement du produit, en raison des problèmes de santé qu’il pourrait entraîner. Ici, une société locale spécialisée propose à Trafigura de traiter ses déchets pour 620 000 dollars, mais l’offre est déclinée. Au port de Lagos, on apprend que Trafigura a proposé 7000 dollars pour décharger le naphta. Ayant compris la dangerosité du produit, les Nigérians refoulent également le navire.
Au port de Lagos, on apprend que Trafigura a proposé 7000 dollars pour décharger le naphta. Ayant compris la dangerosité du produit, les Nigérians refoulent également le navire.
C’est alors qu’une entreprise, la société Tommy, propose à Trafigura de décharger son naphta en Côte d’Ivoire afin de l’éliminer contre 17 000 dollars.
Dieu vous bénisse !
À la mi-août 2006, les produits toxiques sont déversés dans plusieurs communes du district d’Abidjan avec des camions-citernes. Il faut savoir que dix jours avant l’arrivée du Probo Koala, la société Tommy a obtenu un agrément pour le traitement de produits toxiques, alors qu’elle n’avait jusque-là qu’un agrément d’approvisionnement de navires. Désormais, elle avait une licence pour « récupérer les huiles usagées et les résidus d’hydrocarbures afin d’éviter le déversement accidentel », indique le document.
Sur le bon de livraison remis aux chauffeurs des camions, on pouvait lire en bas : « Bonne route, et que Dieu vous bénisse !». Un signe ?
« Tout le quartier est tombé malade.»
À partir de fin août 2006, les déchets libérés dans des décharges ont commencé à produire des émanations de gaz mortels. La commune la plus touchée est Akuedo. « D’abord, l’odeur nous a envahis, et nous ne pouvions plus respirer. J’ai eu des maux de tête très sévères, des rhumes et quand je me mouchais, des caillots sortaient », confiait à Amnesty Jerôme Agoua, un responsable d’associations de victimes.
« D’abord, l’odeur nous a envahis, et nous ne pouvions plus respirer. J’ai eu des maux de tête très sévères, des rhumes et quand je me mouchais, des caillots sortaient »
« Tout le quartier est tombé malade. Les symptômes les plus courants étaient le mal de tête, le rhume, la toux, les douleurs à la poitrine, les problèmes respiratoires, les démangeaisons, les boutons, les problèmes aux yeux, les vomissements et les problèmes digestifs », a déclaré au micro de RFI, une victime du quartier d’Abobo-Plaque 1.
D’après une enquête de l’ONU, l’échantillon testé des déchets contenait « une très forte concentration d’organochlorés avec un taux supérieur à 250 mg/L et un taux excessif de sulfure. Les organochlorés et l’hydrogène provoquent des atteintes cérébrales pouvant engendrer des malaises, des céphalées, des migraines, des douleurs thoraciques accompagnées de toux, des irritations naso-laryngo-pharyngées, des vertiges, des convulsions et même le coma en cas d’intoxication aigüe. ».
En tout, on dénombre plus de 100 000 personnes touchées et 17 morts officiellement.
Après que la police néerlandaise a commencé à enquêter sur ce qu’il était advenu des déchets, Trafigura a demandé à Tommy de créer une fausse facture, révisée à la hausse, selon laquelle le prix de l’opération avait dépassé les 100 000 dollars. Consciente du danger, Trafigura voulait brouiller les pistes et faire croire qu’il avait payé le juste prix pour le déchargement de ses déchets toxiques.
Victimes laissées sur le carreau
Le scandale engendré par l’affaire a provoqué courant septembre la démission du premier ministre ivoirien Charles Konan Banny et de l’ensemble de son gouvernement. Plusieurs autres responsables comme le directeur du port, le patron des douanes, le gouverneur du district d’Abidjan et le directeur des affaires maritimes du ministère des Transports seront suspendus par le président Laurent Gbagbo.
Le multi-milliardaire Claude Dauphin (à gauche) séjournera plusieurs mois à la MACA.
Entre autres, Claude Dauphin, fondateur-dirigeant de Trafigura (décédé en 2015), affréteur du vraquier, et son directeur pour l’Afrique de l’Ouest, Jean-Pierre Valentini seront écroués à Yopougon. Le parquet d’Abidjan poursuivra la société et ses complices devant la justice ivoirienne.
Plusieurs mois après, en février 2007, les poursuites seront abandonnées contre un règlement à l’amiable de près de 200 millions de dollars.
Dans le cadre d’une action civile intentée au Royaume-Uni au nom de 30 000 victimes, Trafigura a conclu un autre accord pour un montant de 30 millions de livres britanniques (soit environ 1000 livres par victime). Ces indemnisations ont cependant été détournées par un groupe qui prétendait représenter les victimes, ce qui a privé des milliers de personnes de réparations, rapporte un document d’Amnesty.
Ces indemnisations ont cependant été détournées par un groupe qui prétendait représenter les victimes, ce qui a privé des milliers de personnes de réparations, rapporte un document d’Amnesty.
En Côte d’Ivoire, les victimes ont également été flouées. Sur les 200 millions de dollars encaissés par l’État, il était prévu que 50 millions de dollars aillent aux populations, et une autre partie aux collectivités locales. Aujourd’hui, aucun bilan exhaustif n’a encore été fait sur l’affectation de l’argent. Les autorités avaient promis de construire un hôpital à Akuedo pour s’occuper des victimes des déchets toxiques, mais rien n’a été fait.
Aux Pays-Bas, la société a été condamnée à verser une amende d’un million de dollars pour exportation illégale de déchets hors du pays. Les autorités néerlandaises ont cependant décidé de ne pas poursuivre Trafigura pour le déversement en Côte d’Ivoire. De plus, Trafigura n’a jamais reconnu son rôle dans ce scandale, rejetant la responsabilité sur Tommy.
Il y a 5 ans, des victimes ont engagé aux Pays-Bas une nouvelle action en dommages et intérêts contre Trafigura, qui n’a pas encore abouti. Pendant ce temps, des médecins et des scientifiques affirment que les risques de contamination dans ces zones sont toujours prés
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