Loi sur le parrainage au Sénégal
La Cour de Justice de la CEDEAO a ordonné à l’Etat du Sénégal de supprimer la loi sur le parrainage dans un délai de 06 mois. La Cour sous-régionale estime que cette loi porte atteinte au principe de la libre participation aux élections. Cette décision, prise aujourd’hui, fait suite à un recours introduit l’année dernière par l’Union sociale libérale (USL) de l’avocat Abdoulaye Tine.
À ce propos, ce dernier s’expliquait en ces termes : “Ce qu’on a demandé à la Cour, c’est très simple. C’est de constater que la loi du parrainage était une loi d’éviction qui violait les droits civils et politiques des sénégalais et des formations politiques sénégalaises qui étaient en lice pour l’élection présidentielle de 2019. Et qu’il fallait constater que c’était une loi imprécise qui ne répondait pas aux garanties de sécurité juridique. Et en tant que telle, il faut que la Cour constate l’illégalité de cette loi”.
REQUETE DEVANT LA COUR DE JUSTICE DE LA CEDEAO
POUR VIOLATION DES DROITS DE L’HOMME
A Madame, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les hauts Conseillers de la Cour de Justice de la CEDEAO.
POUR : L’Union Sociale Libérale (USL) soutenue en cette démarche par:
1- ACT;
2- ADES;
3- ADK AND Dolel Khalifa ;
4- AGIR ;
5- Alliance Démocratique des Enseignants du Sénégal/ CDTS ;
6- And- Jef /Pads ;
7- And saxal Liggey;
8- APDR;
9- Bokk Gis Gis;
10- ClaireVision/ GuindiAskan Wi ;
11- Citoyen Mamadou Lamine Dianté ;
12- Citoyenne Maïmouna Bousso ;
13- Convergence des Travailleurs de l’automobile;
14- CNTS/ FC /Authentique ;
15- CREDI ;
16- EPS ;
17- FSD-BJ ;
18- FRONT National ;
19- Geum Sa Reew ;
20- GRAND Cadre des Syndicats d’Enseignants ;
21- GRAND PARTI ;
22- GRAND RASSEMBLEMENT POUR LA VERITE ;
23- LD-DEBOUT ;
24- MPS/Sellal ;
25- MSU France ;
26- NADEM ;
27- NGALLU Senegaal ;
28- PAC ;
29- PARE Suxxali Senegaal ;
30- PASTEF ;
31- PEM/Yakaal- li ReewMi ;
32- PDS ;
33- PRDS ;
34- PUR ;
35- PTP Parti Travailleurs du Peuple ;
36- Regroupement des marchands Ambulants ;
37- République des Valeurs ;
38- RND ;
40- S.A (Solidarité Active) ;
41- TaxawTemm;
42- TAXAWU SENEGAL;
43- TEKKI;
44- TERANGA Sénégal ;
45- (Union Nationale Patriotique);
46-UNP ;
47-YoonuAskan Wi /MAP;
48-Xalass.
Ayant pour Conseils :
-Maître Abdoulaye TINE, Avocat au Barreau de Paris ;
-Maître Adama FALL, Avocat au Barreau de Dakar,10, rue Saba Immeuble Sa ; SECK à Fann Hock a Dakar.
CONTRE : ETAT DU SENEGAL, pris en la personne de monsieur l’agent judiciaire, demeurant en ses bureaux 10, avenue carde au ministère de l’économie et des finances à Dakar.
PLAISE A LA HAUTE COUR
I. RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :
En date du 19 avril 2018, le projet de loi n°12/2018 portant modification du Code électoral a été adopté par l’Assemblée nationale du Sénégal.
Cette loi a pour objet de soumettre tout candidat aux élections présidentielles à l’obtention du parrainage par une liste d’électeurs.
Au lendemain du vote de cette loi, les députés membres de l’opposition avaient introduit, au niveau du Conseil constitutionnel sénégalais, une requête en inconstitutionnalité contre ladite loi.
Le 9 mai 2018, le Conseil constitutionnel sénégalais s’est curieusement déclaré incompétent.
En effet, le Conseil constitutionnel sénégalais justifie son incompétence par le fait qu’il « n’a pas compétence pour statuer sur la demande par laquelle les députés requérants lui défèrent, aux fins d’appréciation de sa conformité à la constitution, la loi numéro 14/2018 portant révision de la Constitution, adoptée par l’assemblée nationale le 19 avril 2018 ».
Le 24 août 2018, la loi a été publiée au Journal Officiel du Sénégal devant ainsi définitive.
C’est donc dans ces circonstances que les requérants ont saisi la Cour afin de voir celle-ci statuer pour que leurs droits soient parfaitement préservés.
II. SUR LA RECEVABILITE DU RECOURS :
Attendu que dès lors qu’est en cause une violation imminente des droits fondamentaux, la Cour de Justice de la CEDEAO est compétente à statuer.
Qu’en effet, en 2015, la Cour, rappelant une position devenue désormais classique, concevait que le risque d’une violation future peut donner la qualité de victime au requérant (CJCEDEAO, 13 juillet 2015, CDP et autres c. L’Etat du Burkina, points 15,16 et 17).
Or dans le cas d’espèce, d’une part, la recevabilité de toute candidature est désormais conditionnée par la nouvelle loi relative au parrainage.
D’autre part, même si aucune candidature n’est encore présentée par un parti politique ni rejetée par l’instance compétente, le vote de la loi sur le parrainage, effectif depuis le 19 avril 2018, par définition, exclut de l’élection présidentielle prévue le 24 février 2019, un nombre égal aux deux tiers des partis politiques légalement constitués, en raison du seuil très élevé de parrainages que cette loi prévoit.
Qu’en conséquence la violation effective des droits de l’homme en jeu interviendra donc très prochainement.
Ce qui est, comme l’exige la jurisprudence, constitutif « d’indices raisonnables et convaincants de la probabilité de la réalisation d’une violation en ce qui concerne personnellement tous les partis politiques requérants ».
D’où la compétence de la Cour de justice de la CEDEAO en vertu des articles 9, 4° et 10, d) du Protocole de 2005.
Dès lors, il y a lieu de déclarer la demande recevable pour avoir satisfait aux exigences de la loi ;
III. SUR LES MOYENS DE LA REQUETE :
1. Sur la violation du statut de parti politique :
Aux termes de l’article 1er i) du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance : « … Les partis politiques se créent et exercent librement leurs activités dans le cadre des lois en vigueur. […]. Ils participent librement et sans entrave ni discrimination à tout processus électoral. La liberté d’opposition est garantie. »
Aussi l’article 33, 1° de la section VII (extrait) ajoute : « Les Etats membres reconnaissent que l’Etat de Droit implique non seulement une bonne législation conforme aux prescriptions des Droits de la Personne […]. »
Le respect du statut de parti politique est aussi consacré par la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance à son article 3, 11° : « Les Etats parties s’engagent à mettre en oeuvre la présente Charte conformément aux principes énoncés ci-après : […] 11. Le renforcement du pluralisme politique, notamment par la reconnaissance du rôle, des droits et des obligations des partis politiques légalement constitués, y compris les partis politiques d’opposition qui doivent bénéficier d’un statut sous la loi nationale. »
Ainsi, par le fait d’instituer un principe de parrainage intégral doublé du parallélisme absolu des conditions de recevabilité des candidatures, aussi bien d’indépendants que de partis politiques, la loi nationale, même en prévoyant, formellement, dans la Constitution sénégalaise un statut pour les partis politiques (article 4 et le titre V, article 58 unique, dédié au statut de l’opposition) vide ledit statut de sa substance.
En conséquence, il en résulte une absence, dans la loi nationale, des garanties inhérentes aux partis politiques et nécessaires au processus démocratique.
De plus la loi relative au parrainage, en plus de nier leur statut, ôte aux partis politiques leur raison d’être même.
Il revient donc à la Cour de constater la violation par l’Etat Sénégalais des droits des partis politiques.
2. Sur l’entrave à la libre participation des partis politiques aux élections :
Attendu que selon l’article 1er (extrait) du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance : « Les principes ci-après sont déclarés principes constitutionnels communs à tous les Etats membres de la CEDEAO: […] b) Toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes, et transparentes. […]. »
Que selon l’article 1er i) (extrait) : « Les partis politiques se créent et exercent librement leurs activités dans le cadre des lois en vigueur. […]. Ils participent librement et sans entrave ni discrimination à tout processus électoral. La liberté d’opposition est garantie. »
Et l’article 33, 1° de la section VII (extrait) ajoute : « Les Etats membres reconnaissent que l’Etat de Droit implique non seulement une bonne législation conforme aux prescriptions des Droits de la Personne […]. »
Or dans le cas d’espèce, même si la Cour de justice n’est pas « juge de la légalité interne des Etats », elle a vocation à sanctionner la méconnaissance, par cette législation interne, des obligations résultant des textes internationaux opposables à l’Etat membre de la CEDEAO comme le Sénégal.
Il n’est pas inutile de préciser que la loi sur le parrainage, non seulement, ne tire aucune conséquence du statut de parti politique, mais en plus, pose des règles qui entravent la participation des partis politiques sénégalais au processus démocratique telle qu’elle est garantie par les textes internationaux.
En effet, ces entraves se manifestent par plusieurs éléments :
– le nombre élevé de parrainages requis alors que le fichier électoral est mouvant et que tous les potentiels parrains n’ont pas une connaissance précise de la validité de leur inscription sur les listes électorales.
– l’impossibilité pour un électeur de parrainer plus d’une candidature, dispositif restrictif qui détermine l’accès à l’élection ;
– une marge tolérable d’erreurs sur les parrainages à recueillir tournant autour de 0,2%.
En tout état de cause, attendu qu’une candidature qui dépasse le plafond de 1% des parrainages requis est irrecevable, dans un contexte où les signataires n’ont aucune maîtrise sur la validité de leur signature.
Mais aussi les partis politiques n’ont aucune maîtrise sur les modalités du contrôle de la validité des signatures auxquelles recourt l’autorité compétente, on en conclut que les partis ne maîtrisent pas leur sort sur des questions de recevabilité censées être claires et maitrisables par chaque acteur.
En conséquence, il est évident que de pareils instruments sont assimilables à l’usage, par l’Etat du Sénégal, d’une restriction à caractère vague et expéditif de l’accès à l’élection.
Or, l’utilisation d’un critère de cette nature a été sanctionnée par la Cour, s’agissant d’une loi électorale burkinabée (CJCEDEAO, 13 juillet 2015, CDP et autres c. L’Etat du Burkina).
3. Sur le caractère discriminatoire de la loi :
Attendu que selon Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance en son
article 1er (extrait) : « Les principes ci-après sont déclarés principes constitutionnels communs à tous les Etats membres de la CEDEAO: […] b) Toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes, et transparentes. […].
« Les partis politiques se créent et exercent librement leurs activités dans le cadre des lois en vigueur. […]. Ils participent librement et sans entrave ni discrimination à tout processus électoral. La liberté d’opposition est garantie. »
Or, le nombre de partis légalement constitués, plus de 300 (trois cents) étant, par définition, supérieur au nombre maximal des candidatures possibles, nombre que la loi a pour effet de fixer à 122 (cent vignt deux) par le calcul suivant : à la date de publication du décret fixant le calendrier électoral, le nombre d’électeurs inscrits au fichier électoral était de 6 500 000 (six millions cinq cent mille) et le minimum de parrains requis pour chaque candidature étant de 53 000, le parrainage assume donc une discrimination systématique du nombre de participants et qui n’est fondée sur aucun critère objectivement déterminable.
Ainsi, les deux tiers des partis politiques sénégalais sont privés de leurs droits et leur rôle dans l’expression du suffrage, sans que cela n’obéisse à une rationalité maîtrisable par les acteurs de la démocratie.
Par voie de conséquence, ce dispositif est, lui aussi, assimilable à l’usage, par l’Etat d’une restriction à caractère vague et expéditif de l’accès à l’élection par les partis politiques.
Outre le protocole de la CEDEAO, l’utilisation d’un critère de cette nature a été sanctionnée par la Cour, s’agissant d’une loi électorale burkinabée (CJCEDEAO, 13 juillet 2015, CDP et autres c. L’Etat du Burkina).
En effet, de manière générale, la Cour affirme que le « droit de restreindre l’accès à la compétition
électorale » « ne doit pas être utilisé comme un moyen de discrimination des minorités politiques » (point 29). Or, c’est ce à quoi amène le dispositif de la loi sur le parrainage vis-à-vis d’un pan entiers des formations politiques.
Et en tout état de cause, dans tous les cas, la liberté dont dispose l’Etat du Sénégal « doit être exercée en conformité avec les engagements internationaux souscrits ».
Il revient donc à la Cour de constater la violation par l’Etat du Sénégal des traités visés ci-dessus qu’il a pourtant ratifié et d’en tirer les conséquences de droit ;
De tout ce qui précède, il convient de recevoir la demande de l’Union Sociale Libérale et de faire droit à ses demandes.
PAR CES MOTIFS
Vu le traité Révisé de la CEDEAO ;
Vu la déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 ;
Vu le Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques de 1966 ;
Vu la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981,
Vu le Protocole de 1991 et le Protocole Additionnel du 19 janvier 2005 relatif à la Cour,
Vu le Règlement de Procédure de la Cour du 28 août 2002,
Déclarer recevable et bien fondée la requête ;
Dire que la législation électorale, telle que modifiée par la loi numéro 14/2018 portant révision de la Constitution, adoptée par l’assemblée nationale le 19 avril 2018, est une violation du droit de libre participation aux élections ;
-Ordonner en conséquence à l’Etat du Sénégal de lever tous les obstacles à une libre participation aux élections consécutifs à cette modification;
-Condamner en outre la République du Sénégal aux entiers dépens dont distraction au profit des Avocats poursuivants.
SOUS TOUTES RESERVES POUR REQUETE PRESENTEE A ABUJA LE 07 DECEMBRE 2018
BORDEREAU DE PIECES JUSTFICATIVES
Pièce 1: copie recours au fond devant la cour de justice de la CEDEAO
Pièce 2: copie intégrale de la loi sur le parrainage ;
Pièce 3: décret de publication au journal officiel du 24 août 2018 ;
Pièce 4 : Statut de l’Union Sociale Libérale;
Pièce 5 : récépissé de reconnaissance du Parti politique l’Union Sociale Libérale(USL) par le Ministre de l’Intérieur ;
Pièce 6: copie du guide pour la Constitution et le dépôt des dossiers de candidature à l’élection présidentielle du 24 février 2019.
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