L’OPA d’Emmanuel Macron sur l’Elysée

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À 39 ans, Emmanuel Macron devient le plus jeune président de la Cinquième République, face à Marine Le Pen et au terme d’une campagne folle dont les partis traditionnels sortent laminés. Il y a trois ans, il était inconnu. L’opération politique est magistrale. Mais « l’état de grâce va durer deux minutes », prédit un proche. Mitterrand 1981, Hollande 2012 : la gauche aime fêter ses victoires place de la Bastille, symbole de la lutte révolutionnaire. Chirac en 1995 et 2002, Sarkozy en 2007 : la droite préfère la Concorde, entre l’Élysée et l’Assemblée nationale, esplanade du pouvoir où le président assiste en majesté au défilé militaire du 14-Juillet. Ce dimanche 7 mai, Emmanuel Macron fête son élection sur la place du Carrousel du Louvre. Géographiquement, c’est entre les deux. L’endroit idoine pour un centriste « et de droite et de gauche », qui juge les clivages dépassés et s’est donné pour objectif de « recomposer » la politique française. À vol d’oiseau, le Louvre est d’ailleurs plus près de Concorde que de Bastille : assez fidèle à la campagne de centre-droit que Macron a menée. Le Carrousel du Louvre ressemble bien à ce nouveau président.

Une « bulle » politique à facettes multiples qui n’a finalement pas explosé. C’est à la fois le palais royal des Valois où les catholiques massacrèrent les protestants ; la pompeuse colonnade classique du Bernin qui jure tellement avec le reste du bâtiment ; de l’autre côté, le jardin des Tuileries où s’éleva le château des Napoléon brûlé par les communards. C’est aussi le musée le plus visité du monde (la Joconde, les momies, la Vénus de Milo), symbole de la culture française qui s’exporte ; un vaste centre commercial surplombé de la célèbre pyramide de verre commandée par François Mitterrand à l’architecte Pei. Bref, un caravansérail mémoriel, un attrape-tout symbolique, du commerce et du show : l’écrin parfait pour Emmanuel Macron, jeune ambitieux encore inconnu des Français il y a trois ans, élu ce dimanche 7 mai président de la République française au terme d’une campagne aux airs de thriller politique. À 39 ans, neuf de moins que Valéry Giscard d’Estaing, il est le plus jeune locataire de l’Élysée sous la Cinquième République. Ce dimanche 7 mai, un quinquennat commence. Il est encore trop tôt pour savoir si Macron sera un grand modernisateur, un grand casseur, ou juste un autre gestionnaire, du genre de ceux qu’il accuse aujourd’hui d’avoir désespéré les Français. Trop tôt pour savoir s’il changera vraiment le pays ou ne sera que la dernière station avant le Front national, comme s’en inquiètent tant d’électeurs de gauche qui n’ont pas pu voter pour lui, même face à la candidate de l’extrême droite. Trop tôt pour savoir s’il ne fera qu’ânonner la « grammaire des affaires » qu’il prétend connaître sur le bout des doigts, ou se permettra quelques audaces pour tenter de réguler un hyper capitalisme qui tue la planète et accroît les inégalités jusqu’à la démesure. Il dit avoir compris l’urgence. Il assure mesurer combien la France, et l’Europe, sont au bord de l’explosion. Il sera bien vite temps de juger l’homme sur pièces, ses promesses de « renouvellement » politique, de « vitalité démocratique », l’efficacité de ses solutions économiques, dont la plupart figurent au bréviaire des « réformes structurelles »recommandées depuis les années 1980 par les institutions internationales. En attendant, celui qui emporte l’Élysée ce dimanche 7 mai n’est pas un vieux briscard de la politique. Au contraire de ses prédécesseurs, il n’a pas fait ses classes dans un conseil municipal, sur les bancs d’une assemblée départementale. Il n’a été ministre que deux ans. Il n’a subi aucun échec électoral, pour la bonne raison qu’il n’a jamais été candidat. Dans une campagne chaotique, marquée par les affaires et les intox, la victoire de Macron est un drôle de cocktail. Sa recette inclut une bonne dose d’intuition : celle d’avoir compris, peut-être plus clairement que ses rivaux, que les Français ne supportaient plus ceux qui les gouvernent. Une part d’inconscience, quand tout le monde lui prédisait l’échec assuré. La confiance en soi narcissique du bon élève, lauréat du concours général de français à dix-sept ans, qui n’a jamais connu d’échec. Mais aussi beaucoup de chance. En un an, combien d’idoles ont été déboulonnées ! Deux présidents de la République, Hollande et Sarkozy, l’un auto débranché, l’autre battu à la primaire de la droite. Trois premiers ministres, Juppé, Valls et Fillon, le premier défait à la primaire de la droite, le deuxième battu à la primaire du PS, le troisième plombé par les affaires et qui n’a pas passé le premier tour de la présidentielle. Entre les deux tours, Marine Le Pen a paru un moment le mettre en difficulté. Mais elle s’est désintégrée elle-même au cours d’un débat où elle est apparue brutale, impréparée, inquiétante.  Cette victoire est aussi le résultat d’une stratégie méthodique de conquête du pouvoir, depuis que l’ancien banquier d’affaires de la banque Rothschild s’est mis un jour en tête de conquérir l’Élysée, comme ces capitaines d’industrie qui lancent par défi des raids pour avaler une multinationale. Ce dimanche 7 mai, la victoire d’Emmanuel Macron ressemble à une OPA politique dans un marché politique déprimé. Le casse du siècle. Un braquage démocratique de la République, mené sourire « Colgate » aux lèvres.

Avec Mediapart

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