Lutte contre le terrorisme et aide au développement en Afrique: quels liens pour quels enjeux?
Depuis les années 1990, les opérations sous mandat des Nations Unies (ONU) prenaient principalement la forme d’opérations de maintien de la paix (OMP). Ce concept, s’il ne figure pas dans la Charte, a pour autant permis aux Nations Unies, organisation non militarisée, d’intervenir sur des théâtres en proie à l’instabilité. Les récents évènements en Afrique (Libye, Mali, RCA) n’ont pas permis la mise en place d’OMP. En effet, leur déploiement se doit d’être neutre, impartial, et implique le consentement des parties au conflit. Les opérations de maintien de la paix n’ont, en outre, pas vocation à intervenir dans les affaires intérieures d’un état, ce qui est clairement le cas des opérations susmentionnées, même si leur cadre juridique est valable au regard du droit international. La France qui a eu tant de mal à s’affirmer en tant que leader d’une OMP en Afrique francophone du fait de son passé colonial, semble avoir dépassé ce complexe en devenant nation-cadre de trois opérations militaires sur le continent africain (Lybie 2010, Mali 2011, RCA 2013). Jusqu’alors, nous étions dans une posture héritée de la décolonisation avec des implantations historiques, les positions permanentes étant alors principalement des éléments de dissuasion. Suite à ces interventions toutes adoptées sous le chapitre 7 de la Charte des Nations Unies (le plus coercitif), nous allons aujourd’hui vers un redéploiement des forces françaises sur le continent dans le but de pouvoir agir sur les foyers de crise (projet de centre de commandement opérationnel pour la zone sahélo-saharienne basé à Ndjamena au Tchad). Quel est le principal vecteur de cette rupture? Le lien entre ces interventions, qu’il apparaisse à la suite de l’opération militaire (Lybie), en amont (Mali) ou en tant que risque majeur (RCA), apparait être la lutte contre le terrorisme.
Le fondamental de la menace terroriste est son caractère transnational. Le terrorisme ne puise pas ses racines dans un Etat donné mais se déplace au gré de l’opportunisme des conditions. Si l’on en croit les théâtres d’interventions depuis 2001, nous sommes face à un déplacement de la menace terroriste du Moyen Orient vers l’Afrique (Somalie à l’Est, Lybie au Nord, Sahel à l’Ouest), or cette tendance est bien plus ancienne. Les facteurs qui expliquent la vulnérabilité du continent face à ce fléau ne sont pas nouveaux, personne ne peut se cacher derrière un effet de surprise: pauvreté, mauvaise gouvernance, corruption, appareils étatiques défaillants. Nous entendons parler de ces maux depuis des décennies. Au regard des récentes interventions, nous pourrions donc penser qu’être (ou avoir été) principalement bailleur de fonds n’a pas permis d’amélioration notable. Les interventions militaires le pourront-elles? L’action militaire permet d’étouffer les bastions terroristes mais pas de les faire disparaitre (nous l’avons vu en Afghanistan, au Mali). Une action militaire peut par ailleurs créer de l’instabilité au sein d’un Etat et en faire (re)surgir le potentiel terroriste (Irak, Lybie). Pour empêcher le déplacement, la résurgence ou le retour des terroristes, il faut donc endiguer les conditions de leur existence. C’est alors qu’entre en jeu le concept phare du moment: l’approche globale.
L’approche globale consiste à articuler « sécurisation militaire, réforme de la gouvernance politique et promotion d’un développement économique à l’échelle régionale.” Il n’est pas trop s’avancer que de dire que cela correspond aux besoins des théâtres d’intervention contemporains. Cela rejoint en outre la position des Nations Unies qui a adopté une stratégie mondiale de lutte contre le terrorisme et appelle une réponse plurielle, et plus uniquement militaire. Le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) a par ailleurs affirmé que la lutte contre le terrorisme nécessitait de s’attaquer aux conditions qui en favorisent le développement. Une réponse plurielle pourrait alors prendre la forme d’une action civilo-militaire, soutenue par l’aide au développement. Il est important d’identifier la typologie des groupes terroristes afin d’en évaluer les points faibles et ainsi d’articuler une politique de sécurité et de défense adéquate. Les modalités d’action des terroristes ne correspondent pas à une approche Clausewitzienne du conflit. Ils tentent en effet de se fondre dans la population, d’utiliser les personnes et les biens protégés comme des boucliers sans arborer de signes distinctifs. Leur but est de créer une insécurité permanente pour les forces régulières, cherchant à généraliser la suspicion. En s’implantant au cœur d’un état dit “failli”, les groupes terroristes montrent que les gouvernements ne sont capables, ni de protéger, ni de se faire obéir, et peuvent ainsi prendre en charge la population jusqu’à ce qu’elle se transfère à leur allégeance (de gré ou de force). Les combattre sur le volet humanitaire peut donc être le moyen de les affaiblir, en sponsorisant par exemple la construction d’écoles ou de centres de soins. L’idée est de se substituer à eux tant qu’ils ne sont pas encore trop implantés au niveau des populations (comme c’est le cas au Sud-Liban avec le Hezbollah par exemple).
Depuis les années 1990, les armées nationales ont eu tendance, sous pression budgétaire, à se concentrer sur des missions purement militaires. Une évolution idéologique en a découlé sur la place de l’armée dans nos sociétés amenant à la professionnalisation. Les missions civiles ont été progressivement confiées à l’Union européenne (UE) ou aux Nations Unies. Elles consistent à réformer l’assistance à la police; renforcer l’état de droit; l’administration civile; réformer le secteur de la sécurité; surveiller et contrôler des frontières; observer et appuyer les processus électoraux; supporter les processus de désarmement, démobilisation et réintégration…
En définitive, ces missions civiles consistent à appuyer la création d’un état souverain, et cela n’est réalisable que lorsqu’a été au préalable instauré un climat de sécurité. Il semble pour autant primordial d’aborder le plus tôt possible le processus de sortie de crise, et d’amorcer un développement social et économique du pays. L’aide au développement prend alors toute sa place.
Avons-nous donc les moyens de porter à terme les opérations au sein desquelles nous sommes engagés? Si nous sommes capable de gérer la partie militaire de la lutte contre le terrorisme, avons-nous les moyens de gérer le “jour d’après”? L’enjeu pourrait se trouver là, dans le développement économique et social des états concernés et en l’espèce dans le traitement des problèmes de fonds. La Libye, le Mali et la RCA sont trois bonnes illustrations. Au Mali par exemple, l’intervention militaire n’a pas permis la réconciliation nationale et les problèmes de gouvernance n’ont pas été réglés, notamment avec certaines attitudes politiques qui perdurent. Le terreau qui nourrit le terrorisme est toujours présent. Il est tout de même cocasse de se rendre compte que sont menées des opérations extérieures au nom d’un concept non défini: la lutte contre le terrorisme. Le Conseil de sécurité est en effet dans l’impossibilité de s’arrêter sur une définition commune du terme. Cela pose en définitive un grave problème car les acteurs de la lutte contre le terrorisme marchent en ordre dispersé, sans une solide vision stratégique. Il est alors important de garder en tête qu’une intervention au nom de la lutte contre le terrorisme n’est au final possible qu’à un moment de convergence des intérêts des 5 membres permanents. L’adage primauté des seigneurs prend une fois de plus tout son sens.
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